La saga des troya - Saison 1 - Chapitre 2
Pierre doit aller au plus tôt à la tonnellerie, il ne doit pas risquer d’avoir à subir une baisse des cours du châtaignier, basé sur l’offre et la demande. Henri attelle la petite charrette (ou coupé), Pierre doit rejoindre St.Marcellin ou plus précisément St.Sauveur, touchant cette grosse bourgade.
Son emplacement est très bien situé par rapport au foity, avant la dépression qu’a creusée la Cumane qu’ils traverseront au gué de St.Vérand, prendront la rive gauche et déboucheront presque en face de la tonnellerie de St.Sauveur. Cette dépression représentant pour le transport, une difficulté importante aux attelages arrivant depuis St.Marcellin, ne pouvant faire autrement que de remonter du guet toute la profondeur de la rivière au dessus de la rive gauche. Les attelages ne peuvent, en plus, le faire en une fois. Les charretiers ou les conducteurs, sont obligés de laisser souffler les bêtes à mi-pente, un temps de plus à ajouter au charroi de ces « barres » de châtaigniers. Le passage du premier guet évite ces complications.
Il est aussi pressé, d’avoir à traiter sa vente, avant les Saint Jay, qui ont demandé de borner une limite de coupe. Ils auront aussi, à proposer à la vente leurs « barres » de châtaigniers.
La tonnellerie est une grosse consommatrice de ce bois, c’est la plus grosse affaire de la région. Une autre moins importante est située à Vinay.
Pour la distance ce n’est qu’un peu plus loin, mais beaucoup plus accidenté, descentes et montées se succèdent.
Il faut impérativement vendre à St. Sauveur, offrant le maximum de facilités de transports, et en découlant, de bénéfices.
Pierre a fixé le rendez-vous du métayer avec Henri dès quatorze heures. Les Saint Jay connaîtront, en principe, leurs quantités exactes qu’après.
Jacques quant à lui, a fait le recensement du bois tout de suite après la Toussaint sur les « Quatre chemins » il connaît quantités et qualités. Il estime le gros bois à un peu plus du tiers de la totalité.
Il est important que Pierre discute des prix le premier. Pour cela, Henri a préparé le coupé et Bijou, ils sont dans la cour, attachés à l’anneau. Pierre passe sa houppelande, car ce matin il fait frisquet, sort ; voit Jacques traverser la cour.
· Jacques … ne comptez pas sur moi bien tôt pour ce midi, car il faut que je passe à l’étude de maître Rival, pour ce que tu sais ; après je vais chez Chemain, … Je ne vois pas trop le temps qu’il va me falloir. … Avertis ta mère, que j’ai quitté sans la réveiller … Ha ! … Aussi ! … Une autre chose … passe à la ferme des « Grands plans » (c’était autrefois le mas de sa mère) et dit à Germain qu’il commence à préparer le matériel pour l’abattage, qu’il sorte les chars à foin et les transforme en grumiers. S’il veut de l’aide fait le nécessaire. Tu fais la même chose pour la ferme du Doz.
· Sois sans crainte, je l’avais pensé et prévu pour ce matin.
· J’étais sûr de pouvoir compter sur toi.
Pierre monte sur la banquette du coupé, part pour sa destination sans rien dire de plus, mais avec beaucoup de soucis, qu’il promène dans la tête.
Jacques, selle son cheval, en donnant en même temps des instructions à Henri, qui, de son côté prépare les anneaux, les chaînes, les tendeurs, disponibles sur place. Il enfourche son cheval, part au petit galop vers la ferme des « Grands plans » située entre les paroisses de Murinais et de Varacieux, sur le nord vers la combe de Péreras.
L’ensemble est partagé par des haies vives de merisiers, de chênes « têtards », de buissons « d’épinots » et d’aubépines. Un vrai repère pour les grives et les merles de passage, les faisans, les lapins buissonniers et les bécasses.
Il arrive à la ferme qu’il connaît bien, car souvent il venait y jouer avec le garçon et la fille du fermier, qui se nomme Germain Roux.
Sa femme Elisabeth est enceinte du quatrième, venu un peu tardivement.
Heureusement sa fille peut l’aider à faire le travail, car dans les écuries, se trouvent une quarantaine de vaches à lait, avec les veaux et les génisses, un couple de percheron, un de bœufs, dont Germain s’occupe avec l’aide de deux commis. Mais la traite est longue, même si tout le monde s’y met. Les journées le sont aussi. Jacques fait du regard le tour des bâtiments.
Bien des souvenirs lui viennent à l’esprit, comme chaque fois qu’il vient ici.
On sait qu’une amourette a eu lieu avec Eulalie alors encore jeune, que leurs pères ont stoppée, en leurs faisant voir qu’il était impossible d’aller plus loin. Cela reste quand même leur premier et grand amour. On comprend mieux, pourquoi Jacques ne pense pas au mariage pour le moment. Il aime toujours Eulalie, on le voit être réciproque. C’est sans doute un peu la raison qui décida Eulalie à se réfugier chez les bonnes Sœurs après ce chagrin d’amour.
Maintenant que les ans ont passés, sans pour autant faire disparaître leurs attirances, ce temps a un peu travaillé en leur faveur. Ils se rencontrent en cachette, même si beaucoup sont au courant.
Jacques se résigne et suit l’avis de son père, qu’il pense normal par rapport à bien des contraintes. L’avenir dira ce qu’il en deviendra.
Pour le moment les soucis sont ailleurs. Il faut à tous prix réussir ces travaux d’abattage.
Il saute de son cheval, entoure les rênes autour d’un portique fait pour cela, tourne derrière son cheval en lui donnant deux tapes de la main sur la croupe, voulant dire : « tu es une bonne bête » ; puis il avance vers la porte.
Germain est aux écuries préparant la litière, il sort sur la cour, ayant entendu les pas du cheval.
· Bonjour monsieur Jacques. Comment allez-vous ?
· Très bien, merci. Je viens pour des consignes de préparation, qu’il faut mettre en œuvre tout de suite.
Jacques lui détaille les directives à suivre.
· C’est entendu je fais le nécessaire dès que le travail en court est terminé. Mon fils sera à compter parmi les bûcherons, car il est devenu un spécialiste en la matière.
· D’accord … pour moi pas de problèmes.
· Quant à moi je guiderai les percherons que je connais par cœur, qui ont une grande confiance en moi. Nous disposons de deux chars, dont un à pourvoir en attelage, sauf si l’on prend les bœufs. Mais je les pense trop lents pour le charroi.
· Oui … et en plus les bœufs devront sortir les « tires » de la coupe pour les mettre à port, les trois paires réparties chez vous, chez nous et à Doz ne seront pas de trop … Je ne crois pas devoir ajouter autre chose, votre expérience est suffisante en la matière.
Germain sourit, satisfait de cette reconnaissance.
· Comment vont Elisabeth et Eulalie ?
· Elles vont bien … Mais Elisabeth endure un peu sa grossesse. Au fait … elle veut vous demander quelque chose … nous allons rentrer si vous le voulez bien.
· Tout à fait, je vous suis.
Ils se dirigent vers la maison en coupant la cour en diagonale. Frappent les pieds sur la grille de fer, servant de racle boue lorsqu’on rentre des champs, montent la marche. Germain pousse la porte, faisant place à son visiteur et patron.
Jacques entre.
Les deux femmes de la maison sont occupées à la laiterie, à la fabrication des fromages de St.Marcellin, fait au lait de vache ; mais beaucoup de fermières ajoutent du lait de chèvre, avec leurs propres proportions, donnant à chaque fermière sa qualité de fromage.
Nous sommes loin des règlements de Bruxelles.
Les chèvres ne sont pas rares dans la région et même très nombreuses sur la paroisse des Chevrières, touchant aussi vers le sud-est les paroisses dont nous avons parlé.
Comme son nom l’indique, c’est vraiment le coin idéal pour cet élevage. Les chênes têtards dont j’ai signalé la présence dans les haies, ne sont pas autre chose, que les arbres sur lesquels on fait « la feuille »* pour les chèvres l’hiver.
- Deux modèles de haches sont utilisés. Celle d’abattage au tranchant large et arrondi, l’autre la cognée avec un tranchant plus étroit, la panne plus longue servant surtout à l’ébranchage.
- Les chars à foins sont pour beaucoup transformables. À l’aide d’un moufle on soulève et pose à terre le plateau du char avec ses tourets de « billage », après l’avoir déboulonné des traverses fixées sur le porte essieu. Il reste alors les quatre roues et leur structure. Le porte essieu arrière et avant, sont reliés par un longeron de bois de frêne, taillé dans un tronc moyen, d’une seule pièce. Le tout réuni ensemble par des ferrures forgées et boulonnées. Les traverses faites de plusieurs pièces de bois assemblées, sont fixées par deux brides en acier, dans lesquelles sont enfoncées deux grosses barres de frêne, formant gabarit de chargement. Le chargement est lui bridé avec des tendeurs à vis et des chaînes l’entourant.
- La feuille : Une pratique de toujours dans cette région, qui consiste à couper des repoussons d’un an, repoussés des souches de châtaigniers ou des têtes de gros chênes « têtards » de bordures laissés spécialement là pour cet usage. Les branches ainsi obtenues sont réunies en fagots avec leurs feuilles vertes, et sont stockés pour être donnés aux chèvres durant l’hiver. En plus ces animaux adorent ronger les feuilles et les pousses de ces arbres.
Jacques aperçoit Eulalie par la porte de la laiterie, affairée après les faisselles qu’elle retourne, pour égoutter les tommes sur de la paille de seigle, elles-mêmes posées sur des claies faites de tiges de châtaignier refendues en deux, clouées sur deux traverses du même bois. Elle lui fait signe de la main, avec un grand sourire découvrant ses dents blanches et brillantes.
Jacques s’assied sur une chaise du tour de la table de ferme, assez longue pour recevoir les convives des moissons, demande à Elisabeth qui s’est approchée :
· Alors. … Ce petit ne vous fait pas trop de misères ?
· Bien assez, il gigote un peu trop à mon goût. Mais c’est la preuve qu’il est en bonne santé. … Prenez un gobelet, le vin blanc est sur la table, je vais vous servir … (une petite hésitation), puis … Monsieur Jacques, accepteriez-vous d’être le parrain de l’enfant qui va naître ?
· Oui, oui, dit-il sans hésitation, j’en serai très heureux.
· Merci Jacques, vous nous faites un réel plaisir.
· Jacques boit en trinquant à la santé du bébé à venir. Pose avec Germain son gobelet d’étain sur la table, en disant :
· Merci pour ce petit blanc, mais il me faut filer au plus vite, je dois passer par Doz et le temps passe vite.
Germain sort avec Jacques, lui serre la main, retourne à l’étable reprendre son travail. Pensant à ce qui les attend, mesurant le labeur, mais sachant qu’ils y parviendront.
Jacques retire ses gants de peau qu’il a enfilé sous sa ceinture de cuir, tenant serré sa veste de cavalier, les enfile lentement l’un après l’autre.
Ce temps a permis à Eulalie de le rejoindre dehors.
Elle s’approche, il lui prend la taille, l’embrasse affectueusement sur les joues. Jacques en profite pour lui demander :
· Est-ce que tu peux venir à la grange du « grand pré » ?
· Oui, mais quand ?
· Ce soir ou demain.
· Va pour ce soir vers cinq heures, avant la traite du soir, je serai libre.
· Alors d’accord, à tantôt.
Il pose un baiser sur les lèvres d’Eulalie. Se retourne, enfourche son cheval servant d’écran à la petite scène amoureuse. Eperonne du talon le cheval s’élançant en direction de Doz.
Doz est un lieu-dit jouxtant le foity. Les terres de cette ferme, la deuxième des Troya, est bâtie face au sud-est contre la colline peu inclinée à cet endroit. Les terres s’alignent de part et d’autre de la maison, sans traverser le chemin de la Croix à celui de Murinais d’un côté, St.Vérand de l’autre, limitant le foity et vont s’étendre vers les hauteurs de Murinais en passant par le Foity haut. C’est une suite de creux et de bosses, au fond desquels des replats se sont formés par l’érosion d’il y a bien longtemps, permettant des cultures en terres profondes, mais pas bien accessibles vers Argentenas.
Là il va rencontrer en la personne du fermier, non pas un étranger, mais un parent. C’est un cousin germain à son père, issu des de Troya du foity, n’ayant pas eu la même réussite que son père et la lignée directe. Peut-être aussi d’autres raisons, qui font que la famille de Pierre n’a pas pu laisser à l’abandon ce parent, voulant essayer de s’en sortir et vivre comme il savait le faire. C’est pour cela que le père de Pierre se prénommant Etienne, a confié cette maison et ces terres à Joseph le père de l’actuel tenant, dont le prénom est Etienne, un peu en souvenir de cet aïeul.
C’est la plus petite partie du domaine de cent cinquante stéraies pour les terres et les bois. Par contre c’est là qu’il y a les plus beaux noyers, plantés en petites parcelles dans les fonds que je citais plus haut. C’est là, la principale occupation des fermiers de Doz, que l’on a appelé, pour éviter la confusion, les Troya doz ou du Cordier.
Etienne est marié à Antoinette Servant, fille d’un laboureur placé à la ferme de Quinsivet, ayant transmis ce qu’il savait, c’est à dire, mener au travail des bœufs ou des chevaux.
La situation créée par ce lien de parenté n’est pas simple à gérer, aussi bien pour Pierre que pour Jacques, mais il faut bien faire avec. Il connaît parfaitement la culture du noyer, dont il a créé une pépinière. Chose nouvelle pour le noyer dont on fait facilement la reproduction par le semis de la noix en place.
Etienne travaille sur le sujet, car il faut pour multiplier cette variété, le faire par greffage, d’où la pépinière de noyers créée par lui, ainsi que les greffages, dont il est fier de les montrer, pour en parler.
Pierre le laisse libre de sa passion, puisque jusque là elle ne dérange pas le bon fonctionnement des travaux du domaine, qui tout compris, va atteindre trois mille six cent stéraies, soit mille deux cent hectares environ.
Quand Jacques prend le chemin amenant sur la gauche à la ferme des Doz, il voit Etienne occupé dans sa pépinière à vérifier les greffons ayant bien voulus reprendre. Il quitte le chemin, coupe par le pré et rejoint Etienne.
· Bonjour cousin dit-il à Jacques descendant de cheval.
· Bonjour Etienne, tout va bien dans tes noyers ?
· Oui et non, j’ai un petit problème de végétation, j’ai semé pour mes francs des noix récoltées à plusieurs arbres, j’en ai qui poussent plus tard. Il va falloir que je sélectionne mieux et mette à part les noix de St.Jean, pour faire des noyers plus tardifs, donc moins sujets aux gelées de printemps … Ce qui me permettra de planter, si ton père est d’accord, dans les bas craignant les froids, les plus tardifs et sur les pentes bien exposées les précoces … Je pourrai planter sans crainte, jusqu’à l’altitude la plus haute de la ferme de Doz. Et la récolte s’étalera.
· Oui c’est bien vu, j’en parlerai à mon père. Mais je viens pour t’expliquer ce qu’il faut traiter en priorité.
Il explique ce qu’il a déjà dit aux « Grands plans ». Ce faisant, il tient par la bride son cheval qui le suit, en se dirigeant vers la maison.
C’est un point stratégique, si l’on peut dire, puisque située au milieu de l’ensemble et d’une bonne surface.
· Je vais aller dire bonjour à ma cousine et je me sauve, car l’heure tourne et je dois passer voir où en sont les labours, sur le « Plan de la tour ». Voici trois semaines qu’ils y sont, ce doit être terminé ou presque.
« Ils », se sont des laboureurs loués par Pierre et Jacques pour avancer plus rapidement les travaux d’automne, permettant de semer dès la fin de l’hiver, les céréales de printemps, après avoir préparé d’un coup de herse la surface ameublie par le gel de l’hiver. Ces laboureurs sont, des petits paysans du coin des Chevrières.
Jacques quitte Doz, coupe par le chemin creux, se transformant en rivière à chaque forte pluie, le creusant tous les ans un peu plus, mais raccourcissant la distance pour rejoindre le « Plan de la tour ». Une sorte de grand plateau, presque plat et rectangulaire de quarante cinq stéraies environ, d’un seul tenant. De quoi faire peur aux bœufs quand ils attaquent le premier sillon.
Dès qu’il arrive à la hauteur du bois dominant les champs, il peut voir la grande pièce de terre, sur laquelle les deux attelages travaillent encore, mais sont presque à la lisière de l’autre côté.
Jacques arrête son cheval, profite un moment du paysage. Il aperçoit loin sur sa gauche les contreforts du Vercors, la plaine de l’Isère, les vallonnements remontant jusqu’à lui, dont les bois ont perdu presque toutes leurs feuilles, créant des formes irrégulières dues aux découpages des parcelles, d’un brun violet pour les bois de châtaigniers, roux et ocres pour les guérets, vert sombre virant au jaune pour les prairies. Le tout sous le soleil de cette presque mi-novembre. C’est un spectacle hors du commun, que seule cette région sait manifester.
Il jette un œil sur les attelages, d’où s’échappe de leurs dos une buée épaisse, indiquant l’effort qu’ils fournissent. La terre retournée par le brabant, brille de l’humidité qu’il ressort, laissant voir par les différentes couleurs l’échelonnement du travail fait en une journée.
Jacques pousse son cheval dans la descente et rejoint les laboureurs.
Les bêtes s’arrêtent sous le ho ! Hoo! Des conducteurs, les premières en avances des suivantes d’une dizaine de mètres pour ne pas se gêner pendant le demi-tour. Les hommes s’approchent et saluent Jacques :
· Bonjour monsieur Jacques, vous venez voir le travail ?
· Oui je viens faire le point d’où vous en êtes. Je vois que vous tenez le bon bout.
· Oui, oui, nous allons finir dans l’après-midi.
· Bien, passez à la maison quand vous voulez pour le règlement … Une autre question, est-ce que vous seriez libres pour cet hiver, nous allons abattre les châtaigniers des « Quatre chemins » et quelques uns ailleurs ?
· Bon sang, tous les « Quatre chemins » ?
· Oui.
· Et bien dites donc, un sacré travail.
· Oui, c’est pour cela que l’on aura besoin de vous si vous le pouvez ?
· Pour moi oui … même avec les bœufs s’il le faut. Pour Charles je ne sais pas.
Charles refait dans sa tête le travail qu’il doit faire pour la saison arrivant, puis dit :
· Je ne pense pas pouvoir être libre tous les jours, mais je pourrai disposer de journées sur le mois de décembre en fonction du temps.
· Entendu … venez tout simplement au mas pour nous avertir de vos journées disponibles, nous verrons le moment venu.
Jacques, fait le tour de la grande pièce au pas de son cheval, pour juger du travail qu’il voit bien fait en pensant tout bas. Un beau et bon travail. L’avoine et l’orge auront leurs places toutes trouvées.
Il salut de la main les deux laboureurs s’étant remis au travail, répondant au salut d’au revoir, de la main laissée libre par le brabant.
Le cavalier pique vers le bas en direction de l’Est. Coupe à travers champs et prés une façon de gagner un peu de temps. Rejoint le mas foity. Desselle son cheval, le bouchonne le rentre au box. Va à la maison, transmet à sa mère les prévisions de Pierre, données le matin quant à son retour. Il se dirige au bureau de son père, sort un carnet de parchemin, sur lequel il note tous les renseignements et prévisions qu’il a glané le matin. Pierre pourra en prendre connaissance dès qu’il le voudra.
Jacques s’installe, les coudes sur le bureau, la tête dans les mains réfléchissant à ce qui l’attend pour cet après-midi. Le rendez-vous avec Eulalie. Il se demande si cette situation doit ou va durer. On voit qu’il est vraiment dans un problème auquel il ne trouve pas la solution.
Pourtant Eulalie a beaucoup de qualités parlant pour elle. Dès l’âge de quinze ans elle voulait entrer dans l’ordre des bonnes Sœurs de Murinais. Son père et sa mère, ne voulant pas contrarier une vocation, aidé en cela par le curé Caillat, décident d’accepter son noviciat à la maison des Sœurs de Murinais dans un premier temps.
Eulalie ne connaît peu, si ce n’est rien de la vie de femme du haut de ses quinze ans. Prise en charge par la supérieure, qui, avec l’aide de ses Sœurs, vont lui apprendre à lire, à écrire, à compter, à se tenir dans la société et bien d’autres choses, pendant les six ans qu’elle va passer entre chez elle et la plus part du temps à la communauté.
Et puis ce qui doit décider de sa vie arrive.
Juillet brille de ses feux, les moissons battent leur plein, tout le monde va durement au travail pour abriter la récolte. Chaque soir, pour les moins fatigués, donc les plus jeunes, la coutume veut que l’on chante ou que l’on danse avec les présents, les journaliers, les commis en place, tous chantent et boivent, peut-être un peu trop pour certains.
Parmi les journaliers on a invité, (pour ainsi dire), un joueur de vielle et de viole. Un « violoneux » comme on le dit en patois local à la place de ménétrier.
Il joue soit avec l’un, soit avec l’autre instrument, des airs de danses, que l’on dit aujourd’hui folkloriques, mais à l’époque ce sont les us et coutumes.
Eulalie est présente ces jours là, pour aider sa mère à préparer toutes les victuailles nécessaires à nourrir les faucheurs, les gerbiers et gerbières, chargeurs, convoyeurs, s’affairant aux champs, du levé au coucher du soleil. Il faut aussi prévoir la boisson, de l’eau fraîche surtout, de temps en temps un bon gobelet d’étain de vin des vignes du mas, pour donner, comme ils le disent, un petit coup de fouet. Ce vin utilisant tant de tonneaux fait de douves de châtaigniers.
Jacques est également là. Le violoneux attaque une danse Dauphinoise à mi-chemin entre la bourrée Auvergnate et la farandole Provençale. Les couples se forment. Jacques trouve par hasard Eulalie en face de lui. Il la connaît bien et depuis longtemps, la prend par la main l’entraîne vers l’aire de battage, servant de piste de danse, tenue d’une poigne ferme, la jeune fille essayant de refuser, se trouve mêlée aux autres danseurs formant la ronde pour la danse. Eulalie ne peut rien faire d’autre que de suivre les danseurs.
Jacques au moment du défilé sous le pont, formé par les bras des deux précédents danseurs, prend comme il se doit, du bras gauche, la taille d’Eulalie, ils s’inclinent tous les deux pour passer sous les bras du couple précédent. Cette étreinte est nouvelle pour elle, ressentant comme un trouble. Au moment du tourniquet, les filles doivent se laisser embrasser par le cavalier, ce que Jacques fait, créant un émoi un peu plus grand chez la jeune fille, puis, on s’enlace face à face en partant sur le côté, marquant du pied le temps fort* de la musique.
Chaque fois Jacques, ressentant lui aussi de plus en plus d’attirances pour son amie, exerce une pression un peu plus forte que le demande la danse. Les joues d’Eulalie s’allument vraiment maintenant, elle aussi est attirée par le corps de Jacques. Cette oie blanche, comme on peut le penser, découvre des sentiments inconnus pour elle. Restant essoufflée et tremblante, quand la danse cesse par une révérence générale.
Les deux jeunes gens quittent l’aire de battage, partent sur le chemin pour parler un peu. Riant des prouesses qu’a réalisées Eulalie. Ils arrivent à la première meule de gerbes de blé haute de six à sept mètres, terminée en pointe autour de son mât, avec une large base d’au moins cinq mètres. La meule suivante distante d’un mètre environ, n’est pas finie de construire, car toutes les moissons ne sont pas finies tant s’en faut.
Le couple se tient par la main. Jacques marche à sa droite, sur le chemin où passent les chars pour décharger les gerbes montées en meules. Là, sous un peu d’herbe, l’ornière s’approfondit brutalement. Le pied de Jacques s’enfonce dedans, un déséquilibre s’en suit entraînant Jacques tenant Eulalie par la main la tirant avec lui. Ils s’affalent tous les deux entre les deux meules.
Il voit sous lui Eulalie, dans la paille tombée des gerbes, autour et entre les meules.
La jeune fille ne sait pas trop comment elle est arrivée là ; ressentant toujours cet émoi inconnu l’envahir. Jacques également dans les mêmes dispositions, relève la tête d’Eulalie de la paille, en la soulevant par les épaules. L’autre bras sous la taille la serrant contre lui. Il l’embrasse sur les lèvres, d’abord avec tendresse, en hésitant un peu, puis ardemment. Sa compagne, emportée par le tourbillon, sent sous elle, le sol s’ouvrir pour se transformer en précipice, s’y laissant engloutir. Ce fut l’amour. Le vrai, le grand amour, marquant pour ce soir d’été, le départ d’Eulalie, sur la route de sa vie.
Depuis ce jour, ils ne cessent de s’aimer, se rencontrant à la grange du grand pré, comme ils vont le faire une fois de plus cet après-midi.
- Temps fort de la danse : À cette époque, à la campagne, rien n’était fait pour rien. Chaque chose, même la danse, l’était pour en plus de sa fonction première, servir à tasser l’aire de battage, que les gelées de l’hiver avaient soulevés. Ces danses et ces farandoles devenaient utiles à la préparation du sol de l’aire en le tassant.
Sorti de ses pensées par sa mère, venant d’ouvrir la porte, Jacques est un peu surpris. Magdelaine le remarque et lui demande :
· Qu’est-ce qui te préoccupes Jacques ? … As-tu des ennuis ?
· Ho … chère mère, vous le savez depuis longtemps.
· Eulalie ?
· Pas seulement bien sûr, mais beaucoup quand même.
La mère s’approche, passe la main sur les cheveux de Jacques, comme une caresse en lui disant :
· Tu sais Jacques, je suis certaine que cette situation trouvera sa solution d’elle-même.
· Je le souhaite aussi, mais je ne vois pas bien comment.
· Suis mon intuition …et attends. … Pour le moment il faut marier Anne, mener à bout avec ton père la tâche que vous avez tracé.
· Jaques hoche la tête plusieurs fois comme un geste d’impatience.
· Viens Jacques, Josette est prête pour servir le repas, je vois que ton père ne rentrera pas pour ce midi.
Le repas se passe un peu en silence. Jacques est toujours dans ses pensées.
Le silence seulement coupé par un ou deux mots dits par Jean et Anne essayant de lancer une conversation. Mais rien à faire, la mèche fuse, comme à un pétard mouillé.
Magdelaine est un peu inquiète du retard de Pierre.
Josette sentant l’ambiance tendue, tente à son tour de faire « prendre la sauce », en passant les plats. Plats auxquels personne, sauf un peu Jean, ne fait honneur. Tous ont une boule sur l’estomac. Pourtant pour des motifs bien différents.
Jacques se lève, comme pour s’enhardir, va au buffet, en sort une bouteille de vieux marc, réalisé avec les mous des vignes du mas, montre la bouteille à la table :
· Qui veut m’accompagner ?
· Non merci, répondent-ils ensemble.
· Ho … et puis si … dit enfin Magdelaine, … ajoute un petit verre pour moi.
Jacques sort deux verres à liqueurs du meuble, les pose sur la table, sert sa mère, puis remplit le sien à moitié. Va s’asseoir vers la cheminée, sur le fauteuil de son père, sa mère le rejoint et s’assied en face.
· Aller Jacques, reste serein, tout ira bien.
N’ont-ils pas fini leurs verres, qu’ils entendent dans la cour le bruit des roues du coupé crissant sur les graviers. Magdelaine se dresse comme un diable de sa boite, traverse la pièce en courant et en disant :
· Ce doit être votre père venez avec moi l’accueillir.
En effet, c’est bien Pierre qui rentre de St.Sauveur et de St.Marcellin. Pierre descend du coupé.
· Alors, comment se sont passés ces contacts ?
· Bien … même très bien, je ne crois pas que l’on puisse faire mieux.
· As-tu mangé ? S’inquiète Magdelaine.
· Non pas encore.
· Dans ces conditions, viens t’asseoir à la table … J’appelle Josette elle va te servir ce que tu veux, et tu nous diras tout en détail.
Josette apporte de quoi manger à Pierre, pendant qu’il pose sur un siège ses vêtements d’hiver. L’assistance reste suspendue à ses lèvres, le voyant il se décide :
· J’ai l’accord de monsieur Chemain pour faire le point le moment venu. … Quant au notaire : tout va bien, les Lacombe ont donné leur prix, il est moins élevé que je ne le pensais. Le notaire a les ordres pour poursuivre la mise en place de la vente en demandant quand même un petit rabais de principe. Sans pour autant en faire une difficulté.
Pierre reprend son repas et regarde autour de lui, voit tout son monde le sourire aux lèvres, les visages gais. Il pousse un énorme soupir de soulagement et de contentement.
Magdelaine et Anne se sont assises vers la cheminée, ont sorti les broderies, mais l’on voit dans les yeux d’Anne, briller une lueur pas ordinaire.
Vers quatre heures et demie, Jacques dit à son père qu’il doit passer par les « Grands plans » voir Germain au sujet de la vente des tommes au coquetier, ramassant aussi œufs et poulets, en même temps que les fromages.
Il laisse son père, pas tout à fait dupe de la stratégie, préférant ne pas trop en savoir, pour éviter les affrontements, que déclencherait le sujet entre lui et son fils, le traitant maintenant en homme, non plus en adolescent. Pierre se lève aussi, gagne la grande pièce où sont les femmes. Il a bien gagné ces moments de repos.
Jacques selle de nouveau son cheval, tourne bride, va directement à la grange du «Grand pré ».
Il est un peu moins de cinq heures lorsqu’il arrive, ouvre la petite porte de côté, d’où les deux amants ont la clef … entre … retire la porte derrière lui. Va vers les grandes portes, tourne l’épar les verrouillant, reprend son cheval, qu’il laisse aller vers le foin remplissant encore en presque totalité la grange.
Le cheval tire avec sa bouche quelques brins de ce bon foin, qu’il a peine à broyer, un peu gêné par le mord. Jacques retire le battant, met l’épar, se retourne le regard dirigé vers la petite porte et attend.
Il n’a pas vu, que malicieusement Eulalie est déjà là, elle a ôté son surcot, a étendu sa cape sur le foin, pour en faire une couche confortable.
Pour se dissimuler elle s’est recouverte du foin odorant. Jacques la devine au travers des bûches, enjambe le rebord du tas, monte vers elle, plonge à ses côtés.
Ses mains retirent le foin, découvrent Eulalie, ouvrent sa chemise de batiste, pendant qu’elle commence à lui enlever ses vêtements. Il ne fait pas bien chaud, mais l’ardeur des amants n’a pas besoin de feu. Celui de l’amour suffit.
Les deux corps roulent enlacés sur la cape, Jacques se glisse contre Eulalie, lui couvrant la bouche de baisers, ses lèvres descendent le long de son cou, jusqu’à l’épaule, puis gobent les bouts des seins, qu’elle lui offre en soulevant l’épaule et en cambrant la taille. Elle ressent en elle la fusion de ces corps se cherchant et se trouvant dans une sorte de bain, où tout l’être vibre, tressaille, se serre presque, pour aboutir à l’extase.
La grange reste témoin des cris arrachés par Jacques à Eulalie, cris ayant seulement d’égal, ce très grand amour.
L’heure est passée rapidement à remettre en marche leurs émois.
Eulalie doit rejoindre la ferme pour la traite du soir. Les vaches et les chèvres, leur rappelant le journalier de leur condition.
· Demande à ta mère la liste des produits remis au coquetier. Fais la moi passer demain matin, en la remettant à Henri. Il doit venir pour du matériel. Je la remettrai à midi sur le bureau de mon père. … Je file aussi, il fait nuit et ma mère va finir par s’inquiéter en bonne mère qu’elle est.
De sa selle Jacques pose encore un baiser sur les lèvres d’Eulalie, part avec regret.
Quelques jours plus tard, nous sommes le mercredi 12 novembre.
Dans chaque cour des fermes mobilisées, on peut entendre le frottement des outils de coupes sur le grès rose des meules à affûter.
Il faut aussi vérifier les manches, en changer si nécessaire, en choisissant un bois sec de fil, coupés dans une branche de frêne ou de cornouiller, bois très souple et résistant, ne « répondant » pas le coup à la main, comme au bras placé au bout du manche. Changer le coin de chêne en sifflet, forçant le manche dans la douille.
Le temps passé là est important, mais il est indispensable, pour exécuter assez rapidement, avec moins de peine ce travaille très dur.
Les haches doivent couper comme des rasoirs, permettant d’un seul coup de détacher un très gros « clapon »*
Les serpes ou « gouyat »* doivent couper une branche du tronc en un sel coup, permettant de « rablonder »* les barres nettes et propres.
Pierre a pris un rendez-vous avec le maréchal-ferrant pour le 13, afin qu’il vienne vérifier les pieds des animaux de trait, bœufs ou chevaux. Pierre et Honoré le « maréchal », font ensemble la tournée des étables, des box, des écuries. Tout est revu, un clou par ci, une curette par là, on soigne on répare.
Bêtes et gens semblent prêts pour le « combat ».
Les derniers jours de la semaine, servent à rassembler les matériels à bord de la carriole allant approvisionner tous les besoins, aussi bien en hommes qu’en matériel ou en provisions. Car on mange au bois le midi, autour d’un feu de bois mort.
Les bûcherons journaliers arrivent samedi ou dimanche. Leurs couches en paillasses sont prêtes dans les chambrées.
Tout semble avoir été pensé et traité dans de bonnes conditions.
Le début de la campagne est prévu pour le lundi 17 en espérant le beau temps.
Le temps, ces gens de la terre savent le prévoir. En fonction de la lune, se sont trois jours de mauvais temps pouvant arrêter le chantier, pendant lesquels on ferra autre chose que de l’abattage, mais cela n’est pas un handicap, c’est seulement de l’organisation.
Dimanche matin, comme toujours, cérémonial habituel, messe etc. … en plus, pour celui-ci, accueillir les journaliers arrivant bien souvent par deux.
Henri en est chargé. C’est lui qui les mènera à leur chambrée, sous l’œil de Pierre aimant bien voir l’état dans lequel ils arrivent, au moins pour les nouveaux. Il pourrait y en avoir, qu’il vaudrait mieux refuser, le travail à venir étant très dangereux.
Lundi 17 : de partout les bêtes sont préparées. Les bouviers lient les bœufs à leur joug. Les colliers des chevaux sont passés aux percherons, avec les attelles de cordes et de chaînes croisées sur leur dos.
Un dernier coup d’œil aux « mécaniques », manœuvrées à l’aide d’un moufle de corde et d’une « bille »* agissant sur le moufle qui force les freins à patins d’acier, frottant le bandage de la roue, plus ou moins fortement, retenant le « voyage » de bois, ou, l’immobilisant.
- Bille devient ici un mot patois, représentant un rondin de frêne ou de châtaignier de 6 centimètres de diamètre et 75 de long, dont le bout entre dans un logement de même diamètre, permettant de développer la force de celui s’en servant par dix.
Des trois fermes tous convergent vers les « Quatre chemins » y compris les « loués » venant des Chevrières. Ils finissent par se rencontrer formant un véritable convoi.
Ils arrivent sur place par une petite déclivité du chemin. Ce n’est pas par là que l’on prendra pour le charroi. Le chemin est plutôt descendant, là, les mécaniques entreront en jeu.
Les bûcherons se développent sur le bord du bois formant le premier quart de ces fameux « Quatre chemins ». Il a été décidé par Pierre et Jacques, qu’ils feront trois bandes distinctes d’abattage.
Les bûcherons ont pénétré dans la coupe jugeant ensemble du sens d’abattage. L’avis est unanime, on « couchera » à droite par rapport à la légère pente du début de la coupe.
La musique des haches commence, chaque coup résonne dans le vallon, apeurant quelques chevreuils partant en hardes vers le haut. Quatre perdrix sur la bordure d’en face décollent dans un grand bruit d’ailes enfilant vers la descente le chemin qui suit.
Les trois premiers bûcherons, ayant avancé d’une bonne dizaine de mètres, sur une vingtaine de « sponnées » (en français touffes), les trois suivants commencent la deuxième bande, la musique redouble, c’est presque maintenant un roulement permanent des coups.
Pendant ce temps les fagotiers débarrassent toujours l’orée.
Les arbres tombent dans un craquement souvent grinçant, la musique augmente encore devenant un roulement vraiment permanent. C’est presque l’orage qui gronde ; neuf hommes qui abattent, c’est à voir et à entendre !
Les fagotiers ayant finis cette partie de l’orée, rentrent sur la première bande. De leur « gouya » ils vont réduire en une longueur de fagot, les branches étant pour le moment déposées en « andains » perpendiculairement à la pente, dégageant entre les « sponnées » des bandes larges où vont pouvoir passer sans être gênés, les bœufs descendant les « tires » ou « traînes » de barres de châtaigniers, sur le port ou « chargeoir » nettoyé par les fagotiers.
Le premier couple des bœufs entre en action sur la bande de droite. La chaîne est accrochée au gros triangle d’acier se situant entre la tête des bœufs, sur le joug. Les commis, raccrochent le crochet de la chaîne dans un maillon, donnant la longueur juste suffisante.
Les bœufs avancent, dirigés de l’aiguillon par le bouvier. Il faut absolument que la chaîne reste bien tendue entre les deux bêtes sans en toucher une. À mesure que l’effort augmente les deux têtes se baissent vers le sol, l’échine se courbe, les muscles se bandent, mais rien ne peut les arrêter.
Il reste à choisir entre les souches, la meilleure piste pour atteindre le bord du chemin où attendent les chars prêts à prendre sous le « chargeoir » leur chargement. Là deux hommes, dont le conducteur du char, font rouler les barres sur le bord, tombant dans les gabarits de chargement.
Le premier chargement est prêt, un beau voyage de cinq à six mille livres. Environ deux mil huit cent kilos. Bien serré par les tendeurs à vis pour la sécurité.
Le conducteur prend les rênes du premier percheron, d’un « dioup-hue » retentissant, donne l’ordre d’avancer, les percherons s’arc-boutent pour arracher un tel poids du sol jusqu’au premier tour de roue.
Ils partent pour St.Sauveur avec le premier voyage.
Le deuxième attelage est prêt à prendre la place. Le troisième arrive depuis la Blache. Ce soir ces percherons passeront la nuit au mas du foity, ils seront sur place pour les jours à venir.
Le chantier est lancé, il suffit maintenant que le temps reste du bon côté. Nous verrons bien.
L’exploitation est commencée depuis deux semaines.
Des voyages et des voyages ont été livrés à la tonnellerie Chemain.
Des « Quatre chemins » il reste encore environ un tiers à exploiter. Le temps c’est gâté à la nouvelle lune de décembre, la pluie contrarie les gens et les bêtes. La bise noire s’est levée, il fait froid. Les hommes perdent du temps dans la boue, les bœufs commencent à s’enfoncer dans la piste du bas où celles du haut la rejoignent forcément. On commence à se poser des questions. Que faire ?
Arrêter pour un temps ou continuer. Le travail restant est encore énorme. On approche le cinq décembre.
- Clapon : gros copeau épais, détaché de l’arbre en deux ou trois coups de hache.
- Chargeoir : Construction de gros rondins de bois pris sur place, disposés en plan incliné, offrant, côté chemin une hauteur suffisante pour que le bord soit au-dessus des barres de gabarit du char. De ce fait les barres tombent directement entre les gabarits formant un « voyage ».
- Tire ou traîne : Mot déterminant un ensemble de troncs ou « barres » réunis par la chaîne et tirée par les bœufs jusqu’au chargeoir.
- Rablonder : terme patois signifiant ébrancher.
- Gouya : terme patois désignant une serpe à pointe recourbée.
- Sponnée : Terme patois équivalant à touffe ou mieux cépée.