La saga des troya - Saison 1 - Chapitre 3
Jacques suit de près le travail, voyant les difficultés des hommes il fait apporter du vin chaud aux bucherons ayant allumés des feux pour se sécher et se réchauffer un peu. Devant cette bienveillance les hommes tiennent et résistent.
Mais le moral n’est pas éclatant.
On a appris que les bûcherons des Saint Jay, ayant aussi commencé l’abattage, ont dû abandonner, tant ils sont dans la boue. Les chars s’enlisant dès les premiers cents mètres.
Ici la grande différence est la situation des « Quatre chemins ». Des chemins durs, sur la molasse, permettant aux lourds attelages de rouler normalement, jusqu’au grand chemin, les reliant à la route de St. Sauveur.
Cette différence va encore peser dans la balance.
Pierre est venu sur place encourager tout le monde, leur disant :
· Tenez bon, la bise s’est levée, elle va balayer le ciel, nous irons vers un froid sec, le gel va durcir les pistes.
Le soir, rentrés au mas, tout le monde espère.
Effectivement, dans la nuit, le ciel s’est dégagé, un froid vif a remplacé la pluie, une croûte glacée s’est formée.
Tous reprennent le moral, travailler sous la pluie n’a rien d’agréable, même pour ces hommes endurcis depuis longtemps.
Le matin du départ depuis la ferme, tous emmitouflés dans leur tunique et leurs braies de campagne, ils ont le sourire. Par contre à Quinsivet c’est toujours morosité, impossible de sortir deux chars embourbés jusqu’aux moyeux. S’ils restent là, dans la boue, s’en est fini de pouvoir les en sortir.
Si l’ensemble gel sur place profondément en encombrant le seul passage, fini jusqu’à on ne sait quand. Sans compter les dégâts irréparables aux roues en bois.
Décharger est impossible, le chemin encaissé n’offre aucune place possible. En plus les deux voyages se gênent.
Les choses en sont là quand le soir arrive, mais le plus inattendu va se manifester.
Vers dix neuf heures, Pierre et Jacques se sont retrouvés au bureau du mas foity, quand un cavalier entre dans la cour une lanterne à la main.
Il fait nuit, Jacques s’est approché de la fenêtre, regarde au travers de la vitre légèrement embuée et givrée.
Le cavalier, en descendant de son cheval, a dû passer la lanterne devant son visage. La flamme tremblante de la bougie a suffi pour que Jacques y mette un nom. Il n’en croit pas ses yeux, c’est bien Clément de Saint Jay du manoir de Quinsivet.
Henri est sorti, toujours sur le qui-vive, prend le cheval, le rentre au chaud sous le hangar clos.
Saint Jay s’approche de la porte, pose sa lanterne sur la sellette de pierre du perron, frappe du heurtoir à la grande porte.
· Qui est-ce Jacques ? … As-tu reconnu ?
· Oui, mais je n’en crois pas mes yeux.
· Me diras-tu enfin de qui il s’agit ?
· Tu ne vas pas me croire : C’est monsieur de Saint Jay.
· Quoi ! … Tu es sûr ?
· Il me semble bien.
Pierre se lève à son tour, va voir qui pénètre dans l’entrée où est venue Gertrude pour ouvrir.
· Bonsoir Clément, comment allez-vous ? … Que me vaut cette visite ?
Questions posées un peu sèchement.
· Vous me voyez bien contrarié, d’avoir à vous déranger, mais j’y suis contraint.
· Bon, mais entrez au bureau, m’en dire un peu plus.
Ils passent la porte. Jacques est toujours éberlué.
· Bonsoir Jacques.
· Bonsoir monsieur Clément.
Sait-Jay, se sent toujours gêné, mais se reprend :
· Oui … Pierre, voici ce qui m’amène. Vous n’êtes pas sans connaître la situation dans laquelle je me trouve. Nous avons enlisé mes deux chars. Un peu par la faute d’un bouvier ayant bien pu éviter de se planter dans le piège à la suite du premier … Mais enfin nous en sommes là. Je ne trouve plus d’attelage, ils sont tous occupés chez vous … Mes deux paires de bœufs n’y suffisent pas, faisant qu’empirer les choses. Il me faut au moins deux paires de plus pour arracher de la lise, ces deux voyages … Un peu chargé peut-être, pour la qualité de nos chemins. … J’en arrive à ma demande : pourriez-vous, soit avec vos bœufs, soit avec les percherons, sortir de la boue avant le gros gel, ces deux voyages ?
Comme l’on dit, un ange passe sur cette question.
Pierre quoique stupéfait, comprend bien cette situation et se met à sa place. Il porte la main à son front, comme pour chasser les mauvaises idées d’avoir à l’envoyer promener. Il pose à Jacques la question lui évitant sans doute l’irréparable :
· Qu’en penses-tu ? … Tu connais bien où nous en sommes.
· Oui … Je me rends compte qu’il n’y a pas de nombreuses solutions. … Mais il y en a peut-être une … la seule. … Le mauvais temps a retardé les bûcherons, les barres à traîner sont un peu près du front de coupe, cela devient dangereux … Je dispose donc des attelages, demain matin pour deux ou trois heures, pas plus … Les bûcherons pendant ce temps reprendront de l’avance … Les percherons continueront le charroi, car sur le « chargeoir » nous avons de l’avance… Si tu le veux c’est bon pour moi, mais seulement demain, car les conditions du chantier ne le permettront pas après.
· Qu’en pensez-vous Clément ? Demande Pierre.
· Je ne m’attendais pas à tant, surtout si rapidement … Pour moi c’est très, très, bien ; mes hommes et mes bœufs seront sur place dès le levé du jour.
Pierre offre à Clément une boisson chaude, avant de repartir. Ici, la convivialité tient une grande place. Clément accepte. Il fait du regard le tour de la pièce. C’est la première fois qu’il passe le seuil de cette maison. On peut voir sa surprise du « luxe » se trouvant autour de lui. Lui qui pensait cette famille de Troya un peu frustre. Quelle erreur, pense-t-il … En plus il se sent bien ici … Pour lui c’est surprenant.
Pierre appelle Gertrude.
· Gertrude, dites à Josette de préparer de l’eau bouillante, qu’elle nous l’apporte ici sur la table ronde.
Puis, s’adressant de nouveau à Clément :
· Que voulez-vous comme goût ? Armoise, tilleul, verveine ou menthe ?
· De la verveine m’ira très bien.
· Verveine pour tout le monde. Tu en veux bien Jacques ?
· Oui cela me réchauffera.
Clément n’est pas très à l’aise, lui qui a toujours pensé que les Troya étaient des inférieurs. Qu’il se passerait d’eux à jamais. Mais l’adage disant : « Fontaine je ne boirai pas de ton eau », se vérifiait encore une fois, au propre et au figuré.
Magdelaine mise au courant par Gertrude de la présence de Clément de Saint Jay, pense qu’il serait correct de se montrer.
· Josette vous poserez le plateau sur la table, je servirai moi-même.
Magdelaine vient quand même lui ouvrir la porte. Elle passe avec le plateau, le pose sur le marbre de la table ronde, se retire sur la pointe des pieds.
Clément voyant pénétrer son hôte dans la pièce, se lève, salue Magdelaine avec respect, en s’inclinant un peu, tenant sa main vers lui. Les deux hommes de la maison se sont également levés.
· Venez jusque là, vers la table, je vais vous servir messieurs.
Les trois hommes s’approchent, elle sert ; ils boivent en échangeant des banalités de toutes sortes. Il n’est pas facile de faire autrement, l’ambiance n’est pas très détendue. Il faut se séparer.
Pierre accompagne Clément jusqu’à la porte, Henri amène le cheval, Clément prend sa lanterne déposée sur la sellette de pierre du perron, monte en selle, part, salue de la main tenant la lanterne, son « voisin ».
Magdelaine et Jacques, restés au bureau, attendent que Pierre soit revenu. Dès qu’il entre Magdelaine lui dit, dans une sorte d’éclat de rire nerveux :
· Et bien vous voyez, on m’aurait dit, que ce à quoi nous venons d’assister se produirait, je ne l’aurais pas cru !
La soirée se termine comme d’habitude. Tous pensent que leur lit sera le bien venu.
Pour Jacques, ce qui a été dit doit être tenu.
Bien avant le jour il fait mettre le joug aux bœufs.
· Prends mon cheval Henri, vas dire à Germain et à Etienne d’atteler un peu plus tôt, de venir au mas foity, au lieu d’aller à la coupe.
Henri fait le tour, puis revient.
· Atèle la carriole, rajoute la très grosse chaîne servant seulement pour les cas rares.
Ce fut fait. Un peu avant le levé du jour, les trois paires de bœufs et leurs bouviers sont là.
· En route, dit Jacques, monté en selle. Coupez par les terres des Saint Jay, aujourd’hui rien n’est interdit.
Après un bon quart d’heure tout le monde arrive sur place. Henri sonde du pied la croûte de gel. Sur le chemin avant les chars pas trop de problèmes, mais où ils sont, c’est vraiment la gadoue croûtée par quatre centimètres de terre gelée. La gangue durcie s’est prise autour des rayons des quatre roues, comme enchaînées au sol.
Henri revient vers Jacques, lui fait son rapport en rajoutant : Pas brillant.
Jacques lui propose de mettre au timon les bœufs étant là hier devant, la deuxième paire du char resté derrière.
· Essayons une première fois, en ajoutant deux des trois paires restantes.
La chaîne ayant servie la veille était restée là, encore fixée au support d’essieu. Prise dans la croûte de gel. En tirant, les bœufs la délogeront facilement. On décide malgré la crainte de cette chaîne que l’on ne peut pas vérifier, de faire un essai.
Henri, aidé par les bouviers de la ferme de Quinsivet, passe une deuxième chaîne entre les bœufs, accrochée à double aux triangles des jougs.
Font bander les chaînes, par petits pas des bœufs. Celle prisonnière de la croûte de gel, saute par à-coups projetant des morceaux de terre gelée tout autour. Henri commande la manœuvre. Les quatre bouviers commandent leurs bêtes. La première paire s’enfonce jusqu’aux genoux avant de trouver le dur. La deuxième un peu moins, la troisième est presque sur le sol dur. La quatrième sur le dur.
Jacques fait remarquer à Henri :
· À part diriger le timon, la première paire ne fera rien de plus. … Mais essayons quand même.
Les bouviers aident de la voix, piquent l’un ou l’autre bœuf pour les tenir en ligne.
Les bêtes s’arc-boutent, donnent un effort hors du commun, le char bouge un peu, avance de vingt centimètres, en soulevant collées aux rayons des plaques de terre gelée.
Par miracle aucun des rayons ne cassent. Encouragés, les bouviers sollicitent leurs bêtes au maximum, et là, la première chaîne dont l’acier est gelé, donc fragilisé, casse. Les deux premières bêtes surprises par la brutalité de la rupture, plient les genoux sur le sol glacé, puis se relèvent. Les bouviers contrôlent vite les pattes et les genoux. Pas de mal, mais on l’a échappé belle.
Jacques toujours sur son cheval, se faufilant sur l’éboulis du talus, entre l’attelage et la paroi verticale de la molasse, va d’un bout à l’autre du convoi, puis revient vers Henri :
· Ajoute la cinquième paire. … Mettez en place notre grosse chaîne, elle doit résister aux cinq paires de bœufs. Nous ne le sortirons pas autrement … D’autant plus qu’il est revenu en arrière quand la chaîne a cassé, et s’est enlisé de dix centimètres de plus.
Les bouviers calment leurs bêtes un peu secouées par cet incident, leur parlent en patois en leur caressant l’encolure de la main. Les naseaux fument dans l’air froid. Un des commis de Saint Jay passe derrière les bœufs, l’autre sous le char. On lui tend la grosse chaîne. Il l’enfile par-dessous la tourelle, l’attache d’un tour mort au longeron de frêne.
La grosse chaîne est tendue entre la première paire de bœufs, à la place de celle venant de casser, au joug de la deuxième paire. Les chaînes d’abattage amenées dans la carriole bâchée, sont mises entre les autres paires, à double, après la grosse chaîne.
Cinq paires de bœufs, dont deux sur le dur : une force considérable.
On reprend du début, les chaînes tendent comme des cordes de viole. Jacques vérifie si tout est bien ; donne le signe de la main aux bouviers, piquant les bœufs, surveillant que les chaînes restent bien tendues, les jougs craquent sous les sangles de liage, les coussinets s’écrasent sur le front des bêtes, les cornes crissent contre le bois du joug. … Le char s’ébranle remontant de l’ornière qu’il a approfondie en retombant en arrière ; passe cet obstacle, les bœufs entament leur premier pas, le char avance arraché de la boue.
· N’allez pas trop vite crie Jacques, il ne faut pas désunir les bêtes.
La deuxième paire sort de la boue, puis la première, puis le char et sa charge.
C’est gagné ! Un hoo … fort et traînant arrête les bêtes, on crie victoire.
Le second est retiré, avec un peu plus de difficultés car le passage dans la boue maintenant remuée avec des croûtes de glace et de terre gelée, a été plus long. Mais l’expérience du premier aidant, la réussite fut au bout.
Il est maintenant plus de onze heures, presque trois heures d’efforts.
Clément qui est venu assister et aider de sa présence à l’opération, s’approche de Jacques et d’Henri, les félicite, les remerciant vivement. Offre aux hommes une rincette de marc à même la bouteille. …Voilà qui réchauffe…
Les attelages de Jacques quittent les lieux pour rejoindre les « Quatre chemins ».
Clément et Jacques font un bout du chemin côte à côte sur leurs chevaux au pas. Ils se rendent compte, que maintenant leurs rapports ne seront jamais plus, ceux du passé.
Jacques se sépare de Clément.
Clément va sur le chemin en pensant à sa coupe actuellement stoppée pour le temps nécessaire au gel de prendre la terre jusqu’au fond, pouvant porter les attelages. Mais quand cela sera ? … Là est la question.
Quant à l’exploitation des « Quatre chemins » elle continue depuis, avec une fois de la pluie, une fois de la neige, une fois du vent ou de la bise, cela jusqu’à la fin décembre, grâce à ces quatre chemins, permettant toujours de passer par là ou par ici ou par ailleurs, plus d’une centaine de voyages transitant jusqu’à St.Sauveur, assurant dès aujourd’hui la réussite du ou des projets.