La saga des troya - Saison 1 - Chapitre 5
Quelques jours plus tard vont avoir lieu, dans le but d’occuper tout le monde un travail aussi indispensable qu’important : La mondée. Cela consiste à séparer des coquilles, les cerneaux des noix sèches, qui ont passées des semaines entières sur les séchoirs, ces grands bâtiments très aérés au planché fait de liteaux espacés laissant passer un courant d’air au travers de la couche de noix remuée pratiquement chaque jour.
Pierre comme chaque année a prévu pour cette période froide, cette fameuse « mondée » des noix, qui consiste à sortir les cerneaux, triés après, suivant leur grosseur et leur qualité.
La première veillée de « mondée » est prévue avec tous les intéressés pour les soirées du 28 et du 29 janvier.
Le 28 au matin Henri prépare les outils nécessaires pour casser les noix.
Peu de chose : un maillet en buis, aux bouts étroits et arrondis ne dépassant pas la dimension d’une noix, une tuile creuse ou canal, celles qui couvrent tous les toits de la région, des sacs de jute, dont un sera posé sur la cuisse de celui qui cassera les noix, des corbeilles en osier. Le tout en plusieurs exemplaires.
Les « casseurs » comme on les appelle, sont ceux qui vont casser les noix.
Assis, une corbeille entre les jambes, un bout du sac en travers de la cuisse, l’autre bout dans la corbeille. Sur le sac côté cuisse, une tuile creuse, dont la forme conique épouse la forme du dessus de la cuisse en coinçant le sac.
Le maillet de buis à la main droite, le sac de noix à casser à la gauche, c’est prêt.
On prend une noix dans le sac, on la place entre le pouce et l’index de la main gauche, la pointe de la noix vers l’intérieur de la main, le ventre arrondi de la noix en contact avec la tuile. Un coup sec de maillet, ni trop fort ni pas assez, brise les deux coques de la noix sans endommager les cerneaux et c’est là toute la difficulté. C’est pour cela que les « casseurs » sont toujours les mêmes personnes.
Avec l’habitude ce n’est pas une seule noix que l’on prend dans le sac, mais plusieurs que l’on maintient entre le creux de la main et la tuile.
Le pouce et l’index, qui viennent de lâcher sur le sac la noix cassée, roule dans la corbeille, et préparent les suivantes les unes après les autres.
Croyez moi, ce n’est pas donné à tout le monde, de réussir tous ces gestes presque en même temps, avec rapidité.
Les « casseurs » ont pris de l’avance dans l’après-midi.
En même temps, les cuisinières ont préparé les « bugnes ».
Les « bugnes » : encore un mot Dauphinois qui représente, un produit du terroir.
Faites avec de la farine, des œufs, un peu de sel, de la crème cuite, prélevée à la cuillère sur du lait préalablement bouilli et laissé reposé au moins une nuit et un matin.
Cette crème sert non seulement au goût et à la finesse, mais aussi comme levure.
C’est là le secret des bonnes « bugnes ». Quant au lait qui reste il va servir à pétrir farine et œufs.
Il faut obtenir une pâte pas trop môle, qui va être étirée très mince, au rouleau sur le dessus de la table, puis découpée en carrés ou rectangles, bandes, ou autres formes laissées à l’imagination de la cuisinière, qui doit seulement utiliser toute la pâte étirée. Ces découpes sont piquées avec une pointe de couteau cinq ou six fois, en fonction de la grandeur, qui ne doit pas dépasser une forme de dix par six centimètres.
Ces formes de pâte, sont jetées dans de l’huile de noix très chaude sans jamais bouillir, retournées pour dorer les deux faces, puis sorties à l’aide d’une écumoire, posées sur un linge qui absorbe le trop d’huile de la friture. Elles sont ensuite sucrées et empilées dans une corbeille à linge.
Quand la corbeille est pleine, la quantité est suffisante.
Le soir venu, vers sept heures, on verse sur la grande table de la ferme, deux ou trois corbeilles de noix cassées, en trois tas différents, sur lesquels on pose un saladier vide.
Les « mondeurs et mondeuses » s’assoient sur les bancs du tour de la table. Leur but est de trier les cerneaux mêmes cassés, des coquilles éclatées. Le tri effectué, les cerneaux sont mis dans les saladiers et les coquilles poussées au sol par le bord de la table, tombent en passant entre les jambes.
Les trieurs, sont installés sur une autre table. Les saladiers de cerneaux sont triés en trois catégories, une les noirs, une autre les cassés, une dernière les cerneaux entiers.
Tous ces tris iront à une destination bien précise, les noirs pour faire de l’huile de conserve, les cassés de l’huile de ménage, les entiers vendus aux pâtissiers et confiseurs. Le reste des intacts, s’il y en a, à l’huile de ménage.
Pendant toute la nuit où dure ces « mondées », les chants, en solo ou en groupe, se succèdent, on rit, on s’amuse d’histoires drôles, on « titille » les filles, en réalité on vit.
Quand on arrive à la moitié du travail c’est la pose.
La table se trouve vide, un coup de torchon, c’est prêt pour manger sur le pouce, un morceau de saucisson rassis à l’huile, cuit dans de l’eau frémissante, avec des rutabagas et un morceau de lard. (Les pommes de terre, viendront bien plus tard). Le tout arrosé de bons pichets de vin des vignes.
Puis arrivent les « bugnes » servies comme dessert, que l’on va manger d’abord à la suite des saucissons, mais encore après, pendant le reste de la soirée. Une par-ci, une par-là, et la corbeille est vidée.
Avant la fin du travail, Pierre et Magdelaine viennent faire un tour, c’est la règle. Ils apportent, en venant, des confiseries au miel, des petits gâteaux aux amandes, venus du sud de la province, sur les bords du sud de la Drôme en Dauphiné.
Josette, qui a suivi, porte un plateau sur lequel sont posées des bouteilles de marc, de genépi, de vin de noix, avec une pile de petits gobelets de faïence, pour servir à la demande de chacun, l’un ou l’autre des produits.
C’est là, leur façon de participer à cette « fête », qui malgré les traditions, n’en demeure pas moins un travail important.
L’heure bien avancée, le rire au cœur, chacun retourne d’où il vient, jusqu’à la prochaine « mondée » du mas foity ou d’ailleurs ; car ces soirées s’échangent entre les fermes.
Au mas foity deux « mondées » sont faites. Souvent aussi, une à la ferme de doz.
* *
Après les fêtes, les travaux reprennent aux « Quatre chemins » ; ce charroi difficile va durer jusqu’à la mi-janvier. Le froid s’est installé, les Saint Jay ont pu avec du retard reprendre leur coupe, débardant tant qu’ils le peuvent. Mais avec les bœufs les livraisons sont longues, pendant ce temps la coupe reste abandonnée. Alors qu’aux « Quatre chemins », quatre ou cinq paires de bœufs préparent les livraisons sans perte de temps pour personne.
La fin de la coupe approche. De l’impressionnante surface de ces bois, il reste seulement les souches rases, en compagnie des rangées de fagots dont le transport au fagotier ne saura tarder. Le four à pain les avalera dès qu’ils seront secs. Le site a pris une autre dimension créant une autre vue sur le panorama.
Jacques depuis la selle de son cheval arrêté sur le petit plateau de l’Est, admire le paysage lui racontant des histoires qu’il est le seul à entendre : l’amour de son pays. Cette partie des « Quatre chemins » domine la paroisse de Varacieux, dont le bourg prend de la consistance.
Il reste encore à faire la coupe des Lacombe, dont la vente a été signée entre Noël et le premier janvier. Les Lacombe sont très satisfait, de ce côté tout va pour le mieux.
Saint Jay, quand il l’a su, a fait un peu la grimace, mais s’est dit : que pour le moment, ses terres lui suffisent bien, pour l’organisation qu’il peut mettre en place.
Dès la mi-janvier le bois des Lacombe, dont le nom va finir par y rester associé, est mis en coupe. L’affaire fut vite réglée, les chemins sont durs, la surface quoique importante, n’a rien à voir avec celle qu’ils viennent de réaliser.
La rencontre pour faire le point avec monsieur Chemain, a eue lieu comme prévu. Les comptes affinés, des versements importants ont été effectués.
Le notaire a le sourire. Aucun risque pour tous.
Chemain a seulement dit à Pierre, qu’il voyait difficilement les Saint Jay pouvoir tenir leurs engagements par le retard qu’ils ont été forcés de prendre pour ce que l’on sait. Il demande à Pierre s’il peut éventuellement remplacer les quantités que ne pourra pas lui livrer Saint Jay, faute de temps, avant la pousse de printemps.
Pierre lui explique qu’il ne le peut pas, non par faute d’avoir encore des bois à exploiter, mais qu’ils seront bons, dans un ou deux ans, suivant la programmation qu’ils se sont fixés avec Jacques.
Mais ; lui dit-il, comme nous sommes en avance sur les prévisions, je parlerai avec Jacques d’une solution, je viendrai vous tenir au courant.
Pierre passe chez le notaire Me Rival, afin de mette en première forme, le contrat de mariage de sa fille, lui remettant les premiers éléments chiffrés, en même temps qu’une grosse bourse ventrue garnie des pièces or, que monsieur Chemain vient de lui remettre.
En même temps, le notaire fait un reçu de la somme, Maître Rival lui promet de s’en occuper toutes affaires cessantes, lui fixant un premier rendez-vous pour le 1ier février 1351.
· J’en parle aux futurs beaux parents … sans contre ordre, nous restons d’accord pour cette date.
De retour au mas des Troya du foity haut, Pierre entre à la maison :
· Gertrude voulez-vous allez voir Jacques et lui dire que je voudrais bien lui parler.
· Tout de suite monsieur Pierre.
Un moment après, Jacques arrive au bureau de son père :
· Tu veux me voir ?
· Oui, j’ai eu avec monsieur Chemain, ayant presque tout réglé notre bois, une discussion dont je veux te faire part.
Pierre lui explique les craintes de Chemain, de voir les Saint Jay ne pouvoir lui livrer les quantités qu’il a besoin, avant la pousse du printemps. La multiplication des demandes ayant un peu trop épuisées son stock, il ne supportera pas l’augmentation prévue.
· Voilà ce que j’en pense, tu me donneras ton avis … Nous avons loué les bûcherons et les hommes en général pour encore plus d’un mois. Nous aurons fini, bien avant. … Au moins trois semaines vont rester sur les accords. Nous ne pouvons pas les renvoyer, ce ne serait pas bien, en nous créant des difficultés pour une autre année. Les bûcherons ont une bonne mémoire … Ils ont prévu leur nourriture ici … Les garder à faire ce qu’ils ne savent pas, serait stupide. D’où ma déduction de les proposer à Clément de Saint Jay pour rattraper le temps perdu par la boue, pouvant de ce fait raccrocher et livrer les quantités prévues … Je pense que tout le monde y trouvera son compte … Qu’en penses-tu ?
· Si je raisonnais à ta place, c’est exactement ce que je penserai.
· Je te charge d’aller le voir chez lui, puisqu’il est venu ici ; de régler ce cas s’il le désire.
· Entendu. Je passerai voir, s’il est possible de le convaincre.
Le lendemain Jacques prend son cheval, va en direction du manoir de Quinsivet.
Il contourne la ferme, une bâtisse importante, faite pour être tenue très à part du manoir.
Il longe la grande muraille de pierres soutenant un côté de la cour et du jardin intérieur contigu. Tourne vers une poterne aujourd’hui condamnée, s’avance vers l’entrée monumentale faisant très « château ». Arrivant devant l’entrée, un serviteur depuis l’intérieur s’avance, ouvre la porte et demande :
· Qui dois-je annoncer ?
· Si monsieur de Saint Jay est ici, j’aimerais le rencontrer. Vous lui annoncerez : Jacques de Troya du foity.
Le serviteur fait signe à un commis de venir chercher le cheval.
· Entrez au petit salon s’il vous plaît, je vais vous annoncer.
Jacques reste seul un moment. Juste le temps de voir la pièce plus en détail. C’est une construction assez ancienne dont on devine les remaniements. Les murs sont bruts des molasses équarries et jointées à vif. Contre, à titre de décoration des tapisseries, venant à peu prés certainement de la citée d’Aubusson, prenant une renommée sur la qualité du travail qu’elle réalise.
Des flambeaux de fer forgé sont fichés dans le mur en soutenant une crosse à trois branches munies de bougies. La cire dégoulinante des bougies, figée pour le moment, laisse voir qu’ils servent souvent.
Entre Clément :
· Jacques … comment allez-vous… que me vaut le plaisir de cette visite ?
· Je vais bien monsieur Clément … Mon père vous transmet son bonjour il m’a demandé de vous entretenir d’une proposition, que l’on veut vous faire … à la suite d’une conversation, faite, entre monsieur Chemain et mon père, concernant … (Il hésite un peu) … la difficulté qui semble devoir arriver … au sujet des livraisons de châtaignier à la tonnellerie …
Clément reste interrogatif, ne saisissant pas encore son but, le fixant toujours avec des yeux ronds, ne suivant vraiment pas.
· … Oui le retard que vous avez dû prendre à cause de votre chemin et les moyens dont vous disposez, nous laissent penser que vous n’arriverez pas …
Clément le coupe net.
· Je ne vois pas très bien en quoi cela vous intéresse ou vous concerne ?
Jacques reprend, ne voulant pas laisser la discussion prendre une mauvaise tournure, en disant :
· Je me suis peut être mal exprimé … Il est hors de notre pensée de nous mêler de vos affaires. Mais laissez-moi le temps de vous expliquer nos idées et nos raisons.
· Jacques relate en détails ce que son père a pensé après l’entretien avec monsieur Chemain. Clément n’a dit mot, pendant tout le développement des raisons amenant Jacques ici, son regard ayant repris une expression normale.
· Je comprends mieux votre préoccupation et vos raisons … Excusez moi du ton un peu sec de tout à l’heure. Je n’avais pas mesuré votre démarche … Réflexion faite et puisque tout le monde va y trouver son compte, j’accepte votre proposition qui sera notre première collaboration, à une condition : Celle que vous dirigiez vous-même, avec mon métayer les opérations … Voulez-vous vous en charger ?
· Si cela est la condition. … J’accepte aussi, d’autant plus que je ferai une supervision n’accaparant pas toute mon activité.
Pendant tout ce temps les deux interlocuteurs sont restés debout. Clément s’en apercevant un peu tard, dit à Jacques de bien vouloir s’asseoir.
Pendant plus d’une heure les deux voisins, auxquels s’est ajoutée Laurence, venue offrir une liqueur de genépi pour passer un moment avec eux, discutent de toutes les sortes de problèmes qu’ils rencontrent.
Jacques se lève pour partir. Le couple l’accompagne jusqu’à la porte où le serviteur refait une apparition en sens inverse. Jacques monte en selle, met ses gants, salue de la main et disparaît au portail.
Laurence retourne avec son mari à la grande salle, et lui dit :
· Vous voyez Clément, c’est un garçon comme lui qu’il nous faudrait pour s’occuper de nos terres et de la ferme, il me semble être fait pour ce travail le passionnant, dont il parle avec compétences et amour.
· En effet ma chère, … vous avez raison, si un jour j’ai l’occasion, je lui en parlerais.
Depuis, il s’installe progressivement, une amitié et le respect de l’un envers l’autre.
L’occupation de l’hiver va se terminer, en premier l’exploitation forestière. La page va rester tournée jusqu’à l’hiver prochain.
Clément, grâce à Jacques, a tenu ses délais et respecté son contrat, à la grande satisfaction de monsieur Chemain, regarnissant son stock comme prévu.
Nous étions le 27 janvier 1351. Le rendez-vous avec le notaire pour le contrat de mariage était fixé à quatre jours d’ici.