La saga des troya - Saison 1 - Chapitre 6
La date, tant attendue par Anne, du premier février 1351 est enfin là. Ce jour a été fixé, pour la rencontre du notaire chargé d’établir le contrat de mariage d’Anne et de Renaud. Anne est un peu tendue voire troublée, car elle ne sait pas encore les conditions de ce contrat, allant régler, pour une partie, les détails de sa vie à partager avec Renaud.
Elle a bien questionné sa mère, puis son père, mais les deux ont fait à peu prés la même réponse : prends patience tu en auras la surprise chez le notaire. Sa mère a simplement ajouté, ton père a fait beaucoup pour toi. Attisant un peu plus sa curiosité.
Mais qu’est-ce donc que ce beaucoup ?
Après le repas de midi, Henri vient avertir Pierre que la calèche est prête sous le hangar. Il ne fait pas chaud du tout. La glace est prise dans l’abreuvoir pratiquement en un bloc. Heureusement la source, permet comme toujours, d’approvisionner en eau les hommes et la ferme en général.
Le rendez-vous est pour les quinze heures environ. Le départ est donné pour quatorze heures passées. St.Marcellin est à peu près, à trois lieues, il faut compter environ une petite heure pour arriver, ce doit aller sans contre temps.
Magdelaine et Anne montent sur la banquette arrière de la petite calèche, se couvrent bien des couvertures et des fourrures déposées sur le siège.
Henri tient le cheval qu’il a sorti de la grange. Pierre est monté devant, poussant dès assis, un « allez hue » et le brave Bijou trotte vers St.Marcellin.
L’arrivée se fait à l’heure ; c’est bien pense Pierre.
Le trio entre à l’étude de Maître Rival. Le clerc se lève disant tout de suite à Pierre, après avoir souhaité le bonjour, de le suivre jusqu’au bureau du notaire qui les attend.
Dans le bureau, une grande table en noyer, aux bords sculptés d’un feston en forme d’écusson enferme un gland de chêne en relief, quatre pieds massifs, réunis par trois traverses. Du côté opposé trois tiroirs à glissières. Sur la table est posé un important flambeau en fer forgé dont le pied central tient un grand cercle forgé en dentelles, tenant cinq anneaux à coupole recevant les bougies. Du cercle, un bras, soutient un abat jour en verre blanc opaque, concentrant la lumière des bougies sur le sous mains en cuir grenat situé devant le notaire. Tout de suite après, un pot de faïence bleue, dans lequel reposent quatre plumes d’oie. Encore à côté, un encrier en faïence assortie, muni d’un petit abattant d’étain recouvrant le trou de plume. Il est ouvert, des traces d’encre fraîche marquent le bord du trou.
Tout autour de lui, des piles de parchemins en liasses, tenus par des cordelettes rouges, ayant pour la première, un cachet de cire rouge aux initiales du notaire.
Au devant de la table bureau, quatre fauteuils et deux chaises, posés en arc de cercle. Deux fauteuils à gauche, deux à droite, entre les fauteuils, les deux chaises.
Aux murs des portraits d’hommes de loi. Sans doute des prédécesseurs de Me. Rival, dont son père.
Pierre l’a connu quand il s’est marié.
Tout de suite au dessous du portrait de son père, son fauteuil, duquel il se leva à l’entrée de ses clients et amis. D’un côté une grande fenêtre à carreaux donne sur un petit jardinet séparant la maison de la rue. De l’autre, une cheminée dans laquelle un bon feu chauffe la pièce.
· Bonjour madame … Bonjour mademoiselle … Bonjour Pierre, comment allez-vous tous les trois. N’avez-vous pas eu trop froid pour venir ?
· Non … Mais c’était bien juste, il fallait tout … Ce mois de février ne dépareillera pas les autres, il se promet glacial.
· Si vous le voulez … approchez-vous du feu en attendant les Gilot, ils ne sont pas encore là.
· Oui, dit Magdelaine … Je veux bien, je suis presque un glaçon.
· Anne s’approche aussi du feu, écartant sa cape comme pour permettre à la chaleur d’entrer jusqu’à son corps. Sa mère en fait autant un petit moment, puis s’enveloppe dans sa cape chaude.
· Asseyez-vous sur ces deux fauteuils, ils sont du côté de la cheminée.
· Merci maître, vous êtes très prévenant.
Anne s’installe sur la chaise restée à la droite des trois autres sièges toujours vides. Pourvu qu’ils viennent, pense-t-elle. À peine cette idée passée, le clerc frappe, ouvre la porte, fait entrer les Gilot.
Anne se lève de sa chaise, enjambe le peu de place en prenant le bras de Renaud, penchant son épaule contre la sienne, comme pour lui faire une caresse. Cette petite Anne est follement amoureuse de Renaud.
Ses parents se lèvent, le notaire aussi. Tous s’embrassent affectueusement, sous l’œil attendri du notaire.
· Installez-vous de ce côté madame …
· Messieurs, dès que vous le souhaiterez je commencerai la lecture.
· Pierre regarde Oscar, qui approuve du chef.
· Vous pouvez commencer maître.
Le notaire fait glisser à lui le document en liasse, lié par cette cordelette rouge. Tire les deux bouts de la boucle ; la cordelette tombe sur le bord de la liasse. Il ouvre le premier parchemin sur lequel est écrit, d’une belle écriture latine :
« Contrat de mariage entre damoiselle Anne de Troya et damoiseau Renaud Gilot ».
Le notaire commence la lecture :
· Je ne vais pas tout lire, notamment les points de droits ordinaires ou les origines. Je resterais sur l’important du document. Entre les … Je saute … Il est convenu ce qui suit : Le sieur Pierre de Troya du foity accorde à sa fille Anne, à titre de dot personnelle, restant dans la séparation de biens, une partie du domaine située sur la paroisse de Varacieux délimitée comme suit. …Suit la description … Je dirais seulement la surface totale, qui est de deux cents stéraies environ, s’étendant depuis la croix du grand chemin, au dessous du hameau de Varacieux. Avec : ses granges, la vielle maison inhabitée, partiellement meublée, sise au lieu-dit le « Gros châtaignier »*.
- Ce gros châtaignier est devenu point de repère, il est avec la maison, les deux plus anciennes choses du coin. La maison faite de molasse grise, bien plus dure que la molasse ocre, explique sa survivance. Elle est très inspirée du style Roman, les portes et les fenêtres sont arrondies sur le haut, les fenêtres pas très grandes sont faites d’un seul battant. Au ras du sol on devine des fondations encore plus anciennes bâties en gros galets ronds, dont l’épaisseur dépasse le mètre, si l’on en juge par l’embrasure d’une porte de cave dépassant cette épaisseur. Au dessus de cette cave entièrement voûtée, se trouve la partie habitable qu’on voit pour être plus récente que le dessous, faisant tout de même penser à une réelle antériorité. Le toit est à quatre pentes, couvert en tuiles creuses. La dépassée de toit assez grande pour que l’eau du canal de la tuile versante tombe bien après les fondations inclinées en pierres de taille, supportant la hauteur bâtie en galets. La tradition orale, dit que les premiers arrivés étaient au nombre de trois ; en patois tiré du dialecte : troya. Les trois frères donnant le nom à la maison de troya. L’un d’eux partit accompagner le premier Sire de la Porte, obtenant le titre de Marquis à son retour. Le frère troya planta ce châtaignier en disant : « C’est cet arbre qui sauvera ta vie, tu reviendras le voir et l’aider à pousser ».
On verra bien plus tard que l’amitié liée entre celui qui va devenir le Marquis de la Porte de Varacieux, et les troya, aura une réelle importance à la suite de cette saga.
Effectivement il revint, le châtaignier atteint presque trois siècles aujourd’hui, jour de la signature du contrat de mariage.
Quoi dire de plus sur l’antériorité des de troya.
(La tradition orale et les archives des de la Porte, disent que les premiers arrivés qui ont construit cette maison, étaient au nombre de trois. L’un d’eux, partit accompagner le premier Sire de la Porte aux croisades, qui au retour, obtint le titre de Marquis. On verra bien plus tard que l’amitié liée entre celui devenant le Marquis de La Porte de Varacieux et les de Troya aura une réelle importance pour la suite de leur vie, le châtaignier atteint presque trois siècles aujourd’hui, jour de la signature du contrat de mariage. La maison fut laissée par les de Troya pour celle du mas foity haut, construite plus grande et plus confortable que celle-ci, bien mieux aménagée pour l’usage que lui attribuaient ses constructeurs. Si Anne le souhaite elle peut en faire une très belle maison pour son usage. L’avenir le dira.)
Le notaire poursuit :
· Ces bâtiments seront à remettre en état pour un logement, à entretenir hors d’eau le cas échéant, bien fermés, sauf si le nouveau couple décide d’y loger, ce qui deviendra leur affaire … En plus, la dot comprend dès le mariage constaté, deux armoires à deux portes en noyer, dont une, garnie du linge de corps et des vêtements, l’autre du linge nécessaire à la tenue d’une maison … Enfin : une dot en monnaie sonnante et trébuchante, du tiers de la valeur du domaine moins la valeur des terres et immeubles cités plus haut. Son montant estimé par nos soins, suivant la demande des parents des Troya, à quatre mille ducats en or ou quatre vingt mille livres. Soit : déduction du sol et bâtiments du « Gros châtaignier » une somme nette de onze cents ducats ou vingt deux mille livres … Il est entendu et accepté par les signataires que cette importante somme sera disponible en trois parts égales. Le premier tiers au mariage reconnu, le deuxième à la naissance du premier enfant, le troisième aux décès des donnants fermant ainsi l’héritage d’Anne avec sa propre famille … Les terres et les bâtiments resteront à la jouissance des donnant jusqu’à leur décès, pour eux à en avoir l’entretien comme décrit plus haut, dans la mesure où le couple ne décidera pas de les occuper … Le premier tiers, soit sept mille trois cent livres est disponible auprès de Maître Rival ici officiant, dès le mariage, à la discrétion d’Anne seulement. Aux époux de s’entendre pour l’utilisation de cette somme. …
· Egalement : Entre le sieur Oscar Gilot et madame, consentants, laissent comme dot de Renaud, leur fils unique, dès le mariage reconnu, la pleine propriété de l’ensemble des bâtiments et sols attenants, sur la paroisse de St.Vérand, pour l’instant leur propriété. L’atelier les outils et les bancs installés. … Les parents devant se retirer à la maison que dame Gilot a hérité de ses parents, sur une parcelle située au lieu-dit « Le saut de l’aigue ». Oscar Gilot, se conservant le droit de contrôle sur l’atelier, autant qu’il pourra le penser utile, sans excéder la durée allant de ce jour à la naissance du premier enfant, du nouveau couple … Nous Maître Rival, officiant au nom du Roi, déclarons que la présente prendra effet dès la signature, avec les clauses du contrat. Il est stipulé en plus, que vu l’attribution de terres faisant parties du domaine des Troya du foity haut, allant contre nature du droit d’aînesse, mais fait par les donnants, dans un but d’égalité envers leurs trois enfants, Anne et Renaud associeront à Gilot le nom de Troya … Les époux seront liés ensemble par le nom de Renaud et Anne des Troya-Gilot. …
· Le notaire reprend son souffle, pour terminer par :
· Suivront les signatures : Voilà, reprend le notaire, ce que chaque famille m’a chargé de porter à cet acte. Si vous avez des objections ou de nouvelles propositions à manifester, il est encore temps. ?
· Un silence répond à la question. … Alors dans ce cas nous allons passer aux signatures.
Le clerc et le commis des écritures, vinrent pour signer comme témoins
· La lecture étant faite, il me reste à souhaiter aux deux fiancés le bonheur qu’ils méritent et de leur faire remarquer la chance qu’ils ont d’avoir de tels parents.
Anne et Renaud sont figés, comme des bougies froides, n’en croyant pas leurs oreilles.
Ils balbutient au notaire un oui timide, alors qu’Anne, d’un coup, comme propulsée par un ressort, saute au cou de son père l’embrasse avec grande affection, une larme se forme au coin de son œil.
On s’embrasse, on approuve, en disant seulement que la santé est le premier capital. La peste noire n’est pas loin.
Le notaire est laissé à son étude. Tous reprennent le chemin du retour, toujours sous un froid ayant l’air de croître.
Renaud a demandé à Oscar son père, de rester avec Anne pour le reste de la journée. Pierre et Magdelaine n’y voyant pas d’objection, les Gilot acceptent en disant :
· Nous reviendrons te chercher dans la soirée.
· Non dit Magdelaine … Quitte à revenir, venez chez nous tout de suite … vous gagnerez un voyage, qui, par ce temps n’a rien d’agréable.
· Qu’en penses-tu Oscar ?
· Oui … C’est possible … Il est tard … Les compagnons fermeront l’échoppe. Quant à la maison elle est close.
Renaud monte avec Anne à côté de Magdelaine bien serrés tous les deux sous les mêmes couvertures. Les parents se reportèrent en arrière et purent juger du bonheur que nos deux futurs mariés doivent ressentir.
Arrivés au mas, tous se hâtent d’entrer au chaud, Gertrude a entretenu la cheminée avec d’énormes bûches de chêne flambant de tout ce qu’elles peuvent.
Ils décident en se faisant servir par Josette une infusion chaude, de jeter quelques bases à la cérémonie du mariage, prévue pour le début de juin.
Magdelaine dresse une liste d’invités inévitables. Puis une autre des parents des deux côtés. Un rapide calcul les amène au nombre de cinquante trois personnes.
· Il s’en rajoutera sûrement, que nous avons oubliés, dit Magdelaine.
· Moi je tiens absolument à avoir mon amie Alice que j’ai souvent rencontrée chez le précepteur.
· Nous devrons lui trouver un cavalier répond Magdelaine.
· Je pense l’avoir trouvé en la personne du frère d’Eulalie.
· Et pour Jacques, qui vas-tu lui proposer ?
· C’est tout trouvé mère, ce sera Eulalie.
Jacques se trouve d’entrer à ce moment là :
· On parle de moi ? … À quel sujet ?
· Cher frère je te propose comme cavalière Eulalie. … Es-tu d’accord ?
· Vous savez bien que oui, je n’aurais choisi personne d’autre. Si je comprends bien, vous préparez le mariage, avez-vous la date ?
· Non pas encore, à part le mois qui sera juin.
· Et bien pourquoi pas le quinze juin, pour la St.Jean des « Grands plans », ou le huit juin, pour la fête de la fondation de Notre Dame de Quinsivet. … Les deux fêtes se regrouperaient.
· C’est une idée, le huit me plaît bien.
· Qu’en pensez-vous ?
· Ho oui, l’église sera décorée et nous aurons peut-être droit au Vicaire Général. … La noce sera belle.
· Va pour le huit, c’est une date me paraissant être la bonne.
La journée se termine, il fait nuit depuis environ une heure, le froid redouble. Pierre est sorti pour donner un coup d’œil au ciel, entre en se frottant les épaules et le torse :
· Vous savez Oscar, si j’étais vous, je réfléchirais à deux fois pour rentrer chez vous par ce froid. Je vous conseille de passer la nuit au mas ; de partir demain, de jour, avec le soleil. Le ciel est très clair ce soir, il fera très beau demain, mais très froid dès ce soir … Que pensez-vous de ma proposition ?
· Je ne sais que répondre. Nous n’avons rien prévu pour un cas semblable, mais est-ce que Magdelaine est d’accord. Surtout que nous sommes toujours les profiteurs.
· Mais pas du tout ! … Nous vous prêterons les chemises nécessaires, les lits du haut sont disponibles. Je vais dire à Gertrude qu’elle les prépare avec Josette, elle allumera la cheminée. Renaud couchera dans l’alcôve sur le petit lit, il y fera moins froid.
Un grand sourire découvre les belles dents d’Anne. Elle va avoir « son » Renaud, avec elle, dans sa maison. Son cœur bat plus vite à cette pensée. Renaud en est témoin, se rend compte de l’amour que lui témoigne Anne. Il l’enlace par la taille et le dos, lui dépose un tendre baiser sur les lèvres.
Anne baisse les yeux, lui rend son baiser, un peu plus tendre, un peu plus long. On peut dire qu’ils s’aiment ces deux là.
Jacques a remis deux fois des grosses bûches de chêne dans l’âtre, les dernières sont de braises. Pierre le remarque, se rend compte du temps passé.
· Que diriez-vous si nous allions nous coucher ?
· Je crois que vous avez raison mon cher mari, il se fait tard.
· Encore un moment père il fait encore bon ici.
· Ho … Je sais bien, que tous les deux, vous ne risquez pas le froid ! … S’exclame Pierre en riant très paternellement. Mais il n’empêche ; vous devez vous dire à demain.
Anne fait une petite moue réprobatrice, que son père, toujours prêt à lui faire plaisir, hésite à satisfaire. Mais il se reprend pensant que ses hôtes peuvent être las, frappe dans ses mains, la pousse dans le dos, comme quand elle était petite fille :
· Allez, allez … oust ! … Au lit.
Magdelaine souriant, de cette scène attendrissante, se tourne vers Thérèse en dandinant la tête, comme pour lui faire savoir sans rien dire, ce qu’elle ressent.
Thérèse, de la même façon lui répond. Les deux mères se sont tout à fait comprises.
Le matin, réveillée par le bruit de la ferme, des uns et des autres qui vont à leur tâche, Anne, connait pourtant depuis longtemps ces bruits ne la réveillant pas d’habitude, se retrouve debout dès le jour. Si elle pouvait rejoindre un moment « son » Renaud, pour le surprendre, peut-être dans son lit.
Elle enfile sa robe de chambre jaune soufre, garnie de petites broderies saumon vif, en festons autour du col à rabats, se glisse dans le couloir du premier sans faire de bruit. Regarde à gauche, puis à droite, le couloir est vide, même pas Gertrude, pourtant, c’est sûr, elle est déjà affairée auprès de sa mère. À pas de loup, comme une « voleuse », elle avance vers la petite porte dérobée, ouvrant dans l’alcôve sans passer par la chambre où sont ses futurs beaux-parents.
Presque arrivée, elle va gratter à la porte pour manifester sa présence, quand elle fait, de surprise, un pas en arrière ; elle ne peut retenir un cri de peur.
Renaud vient d’ouvrir la porte sèchement, devant son nez.
Ses parents, ne voulant pas trop abuser de l’hospitalité du mas foity, l’ont réveillé et prié de se préparer. Ils allaient descendre à la grande salle pour prendre la collation du matin.
Renaud est presque autant surpris qu’Anne, à l’apparition de sa tendre amie, belle comme le jour, dans cette longue robe de chambre jaune marqua le pas.
Le temps de se remettre de cette petite frayeur, Anne se met à rire à gorge déployée, alertant tout l’étage. Les Gilot sortent par l’alcôve jugeant de ce qui se passe.
· Mon dieu, qu’est-ce qui vous arrive Anne ?
· Mais rien c’est la surprise de la rencontre sur le pas de la porte … Elle continue de rire. Renaud embrasse Anne, pendant que ses deux parents entrent dans l’alcôve et ferment la porte derrière eux en hochant la tête.
De nouveau seul, les deux amoureux s’étreignent longuement presque à chaque pas, Anne littéralement pendue à son cou.
· Avez-vous bien dormi ? Posent à tour de rôle les uns aux autres en arrivant.
· Oui absolument. … Notre lit a été très confortable.
Le soleil s’est levé sur un paysage complètement pailleté de givre. Des glaçons pendent en stalactites, aux bords des tuiles des écuries, en face des fenêtres d’aération des bêtes.
La cour est sèche et dure, comme seulement un très grand froid est capable de le faire. L’eau de l’abreuvoir, cette fois, s’est gonflée sous l’effet du gel, débordant du rebord de pierre. Seulement depuis le bec du goulot de la fontaine, continuent de couler une eau fumante. Gus vient casser le promontoire formé par les éclaboussures de l’eau, prisent par le froid, afin de pouvoir mettre sous le bon filet d’eau, une seille de douves de châtaignier, la faisant remplir.
Sur le seuil de la maison les Gilot sortent. … Henri sort le coupé prêt pour le départ, qu’il a laissé à l’abri du froid. Les Gilot montent, Thérèse assise serrée entre son mari et son fils. Tous trois recouverts par une épaisse couverture à carreaux, pendant que disparaît au portail l’attelage, emportant pour un temps le futur marié, sous les gestes de la main en signe d’au revoir d’Anne et de ses parents.
C’est fait, ce contrat de mariage tant attendu, est réglé, l’on est prêt pour le mariage.
* *
Les semaines et les mois défilent. Le dernier mois avant le mariage d’Anne et de Renaud est là.
Il y a eu aussi pendant ce temps l’heureux événement chez les Germain, la naissance d’un fils Jacques-Germain, Elisabeth a choisi le prénom du parrain. La marraine est Eulalie bien sûr, comment voulez-vous qu’il en soit autrement, à partir du moment où Jacques est à quelque endroit. Le voisinage se rend de plus en plus compte, que ces deux là sont incontournables, pour tous une seule solution doit s’imposer.
C’est un beau baptême où le curé Caillat sort les grandes Pompes, il s’est renseigné pour savoir qui sera présent. Au su que viendra du « beau monde » il n’hésita pas, la quête fut lucrative.
Le mariage devient rapidement la préoccupation des jours. Les préparatifs battent leur plein. Magdelaine et Thérèse invitant les derniers oubliés. Les musiciens sont loués depuis longtemps. Henri, Gertrude et Josette profitent de leurs moments libres pour parfaire ceci ou cela. Prévoir le linge de table en suffisance, trouver la vaisselle et bien d’autres choses encore… Tout le nécessaire est rangé par Henri dans un coin du sellier pour ce qui ne craint pas ; le linge plus fragile est rangé dans une chambre de la maison, ne servant plus.
Petit à petit, les tas s’élèvent, les lieux s’encombrent, à un tel point, qu’un jour Magdelaine s’exclame :
· Mon dieu ! Tout ça pour un seul jour ou presque ?
Pierre de son côté ne refuse rien à Henri ou à Gertrude, pour réussir la fête, et les surprises s’entassent ou se décident.
Arrive le dernier jour de mai ; la douceur printanière charge les arbres de fleurs blanches ou roses, même les haies resplendissent. La nature explose de toutes parts, comme pour procurer un superbe écrin, au grand jour de notre petite Anne.
Les feuilles vont du vert tendre presque jaune, au vert pers, les bourgeons encore sous les fleurs éclatent leurs sépales vert sombre, marron, brillant de propolis, comme enduit de miel pour les marronniers.
Les prés couverts d’herbes hautes sont envahis de fleurs multicolores, blanches pour les marguerites et bien d’autres, jaune des renoncules, bleue comme la bourrache, rose et rouge des fétuques, violet des trèfles incarna, beige des dactyles, jaune du trifolium, une multitude de plantes toutes naturelles et sauvages, dont les vaches friandes de cette herbe tendre se régalent, rendant à leur tour ce lait unique, faisant de ce produit un des plus rare de l’époque.
Un vrai feu d’artifice à l’horizontal éclate de toutes parts ! Feu qui va attirer les herboristes, dont le plus célèbre des années à venir, Pierre de Crescens, va en 1530, écrire « La distillation des simples » dans un ouvrage : « Livre des prouffits champestres et ruraulx », dont je vous conseille la lecture, puisque aujourd’hui, nous revenons aux sources du bio.
Henri qui n’a rien perdu de la leçon de Louis pour la cour de Noël, s’en inspire et fait faire par les femmes des fermes et les jeunes du voisinage, des guirlandes.
Seulement il remplace les feuilles d’arbre, par des morceaux de tissu. Une cretonne fine, unicolore et pas trop chère, dont Pierre a autorisé l’achat.
Henri et Gertrude ont choisi la cretonne de trois couleurs, blanche, bleu pâle et saumonée ; ils font des découpes en triangle, en carré, en dents de scie. Chaque morceau tenu à la ficelle par un rabat collé, d’une colle faite avec des boules de gui et des plantes dont Henri a le secret.
Les couleurs sont alternées sans trop de symétrie pour obtenir le meilleur effet. C’est peut-être là, que démarra la coutume en Dauphiné de garnir les lieux du mariage avec des guirlandes de papier blanc, collé en anneaux pour former une chaîne. Un autre symbole.
Henri a demandé au fils de Germain, d’aller couper une barre de châtaignier très droite, longue de dix coudées, de l’écorcer pour qu’elle soit bien blanche ; de l’amener dès qu’elle est prête.
Il fait planter ce mat au devant des pavés de l’entrée de la maison. Puis du haut, Louis, aidé de tous les disponibles, attache le bout d’une guirlande, que l’on tend après la façade de la maison au dessus de la porte.
Il agrandit les longueurs, pour créer une sorte d’éventail de guirlandes, rejoignant même, les premiers bâtiments de ferme de part et d’autre du mat central. De dessous on a l’impression d’être sous la moitié d’un grand parapluie, duquel on a retiré la toile, en laissant uniquement les baleines enguirlandées.
Magnifique, dit Henri la tache terminée. Gertrude la mèche de travers, est médusée par le résultat. On finit de mettre, de ci de là, le reste des guirlandes, auxquelles Gertrude ajoute deux gros nœuds de cretonne blanche qu’elle amidonne pour qu’ils tiennent bien ouvert. Le gros nœud de chaque côté du grand portail, est rejoint en son centre par trois guirlandes de tissu passant par le dessus du linteau.
Côté jardin : où s’ouvrent les portes-fenêtres de la grande salle, le personnel a dressé une tente ouverte, pour couvrir le grand buffet, monté sur des tréteaux et des plateaux rassemblés depuis longtemps. Des nappes blanches recouvrant le tout. C’est là que Josette, à laquelle Magdelaine a adjoint deux soubrettes, installera son buffet.
Sont disposés de part et d’autre, des tonnelets de bon vin rouge ou blanc, venant pour la circonstance de Château Neuf du Pape et de Condrieu.
Sous les marronniers de la cour jardin, côté sud de la maison, une grande table en U avec des bancs pour s’asseoir.
Au devant du U, un plancher de plateaux de frêne brut pour remplacer l’aire de battage pour les danses.
Une petite estrade pour les musiciens, au pied du tronc d’un marronnier.
Henri bien aidé a remarquablement fait les choses. Un peu partout, des décorations de branchages fleuris, comme l’aubépine, donnent la dernière touche d’une fête bien organisée. …
Et puis se fut le jour.