La saga des troya - Saison 1 - Chapitre 7
Dès tôt le matin, la maison est fébrile. Tout le monde sans exception court de partout l’un vers l’autre, en disant au croisement des personnes rencontrées, vous n’avez pas vu ça, où a été mis ceci ? Un peu la panique normalisée d’une grande noce.
Dans la chambre de Magdelaine et de Pierre, règne presque un silence de recueillement. Les deux parents ont le cœur serré.
Gertrude aide Magdelaine à revêtir ses habits de noce. Un superbe surcot de velours de soie bleu nuit, se terminant sur les pieds par un évasement formant une traîne un peu plus longue que le surcot de tous les jours. La ceinture serrant la taille est bleu ciel, également en velours.
Au pied du lit des chaussures en peau, sur semelle de cuir, finissant en pointe. La peau a été traitée spécialement par les Gilot, pour obtenir un bleu presque marine, d’un ton plus foncé que le bleu du surcot. Elle mettra ses chaussures au dernier moment.
Sur le lit, étendue pour ne pas se froisser, une magnifique cape bleu ciel, également en velours de soie unie, très brillante, le bord de la cape et l’encolure est liseré d’un galon de deux pouces, de couleur grenat, entièrement brodé de fils d’or et d’argent. Sur une forme, au bord de la coiffeuse, un touret à mentonnière, réalisé sur un fond de velours de soie, couleur du surcot, avec autour et dessus, formant par croisement des écailles de dentelle, brochées or et argent.
Quant à Pierre, la mode veut que l’homme et la femme soient vêtus de la même façon. Pour les hommes, seule la longueur du surcot diffère en s’arrêtant sur le coup de pied, le laissant apparaître en totalité. Ses chaussures sont donc faites dans la même peau que celle de Magdelaine, sur semelle de cuir, mais comportent en plus, une grosse boucle en bronze sur le coup de pied. Son surcot de même tissus, velours de soie bleu nuit, est maintenu serré à la taille, par aussi, une ceinture bleu ciel. La cape, diffère dans l’ornement. Le liseré est plus étroit, un pouce seulement, la broderie moins chatoyante, uniquement passée de fils d’argent. L’ensemble restant pourtant très cérémonial.
Pour finir, Renaud et son père ont confectionné, partant sur la base d’une toque, ce que Renaud appelle un chapeau. Autour de la toque un rebord formé en creux par des coutures de la peau préalablement coupée en V ; le bord du rebord, épaissi par un ourlet de cuir fin, cousu en bourrelé, par un « corrion » de peau. Le devant du rebord formant une légère pointe inclinée. Une création de Renaud, et de son atelier, allant marquer la mode à venir. Les trois principaux hommes de la noce sont coiffés ainsi, seule la couleur change. Pour Pierre, le bleu nuit comme les chaussures, pour Oscar, le sienne orangé comme ses chaussures, pour Renaud le blanc écru comme ses chaussures.
En parlant du chapeau d’Oscar et de sa couleur, on devine le reste de la tenue, la même que le couple des Troya, sauf les couleurs dans des tons de brun, d’orangé et de sienne
Et notre petite Anne ? La reine de la fête, comment est-elle ?
La plus belle bien sûr !
Son surcot est en taffetas de soie moiré, blanc crème, presque beige. Entièrement recouvert de dentelles du Puy en Velay, (une voisine du Dauphiné qui est en train de se faire la réputation des plus belles dentelles de France), d’un blanc éclatant pour se détacher du fond crème. Le fil utilisé pour la dentelle est mêlé d’un fil d’or. Surcot très long aussi, chaussures et touret assortis surpassés de fils d’or. Qu’elle est belle notre petite Anne.
Renaud ne doit rien quant à la tenue assortie aux couleurs d’Anne, mais sans fil d’or.
L’éclatante beauté de ce couple, ne peut avoir d’égal, que la féerie du décor naturel, qu’a préparé la nature, pour ce jour de réjouissances.
Un magnifique ciel bleu, nimbé seulement sur les cimes du Vercors et de la Chartreuse par l’exhalaison des pentes, rendant, pendant la nuit, une partie de la chaleur, qu’elles ont reçues durant le jour ; formant ainsi un diadème posé sur le front des à pics, mis par eux pour participer à ce mariage.
L’heure avance. Dans la cour alignés les uns derrière les autres, tous les véhicules disponibles de la maison, revus et « briqués » par les commis sous les ordres d’Henri. Ils brillent jusqu’au moindre boulon. Le premier attaché à l’anneau du mur de la maison, est la calèche que tire Bijou, l’imperturbable cheval, témoin de tous les événements.
La cérémonie est fixée pour dix heures trente, comme toujours, Pierre ne veut faire attendre personne, les invités et les amis ont été conviés à se rassembler, placette de l’église Notre Dame de Quinsivet, sauf pour les proches de la famille partant du mas de Pierre des Troya du foity haut.
La grande salle est presque pleine des parents ou amis, parlant joyeusement ensemble, se demandant les uns les autres des nouvelles ; car pour la plupart, se rencontrer est possible qu’à l’occasion des cérémonies.
Il est maintenant dix heures, la grande salle bruyante se tait d’un coup, quand apparaissent dans l’escalier Pierre et Magdelaine se donnant le bras, alors que Gertrude sur son quarante et un, soutient le pan du surcot formant une petite traîne. Elle s’esquive et remonte dès la dernière marche, alors que toute l’assistance applaudit ce couple remarquable.
Ce fut pour un cours moment, les effusions de joies des retrouvailles.
De nouveau un grand silence, sur l’escalier, Anne, aidée de Gertrude fait son apparition.
Une déesse aurait seulement pu rivaliser, tant elle est belle. Son père s’avance sur les premières marches lui prend le bras, l’accompagne jusqu’au bas de l’escalier. Qu’il est fier de sa fille. La maman elle, ne peut retenir une petite larme, qu’elle refoule, quand elle sent son bras fortement serré par la main de sa cousine germaine, qu’elle considère comme sa sœur, n’en ayant pas, puisque fille unique
Elle regarde son mari et sa fille, dont les habits se contrastent et s’accordent à la fois, le bleu nuit du père et le blanc de la fille, représentant la symbiose de l’amour de leur vie, par la cape bleu ciel sur les épaules de son père.
Renaud tient le bras de sa mère, ils arrivent à leur tour sur l’escalier. Lui aussi un vrai dieu, tant il est beau dans son habit clair. Tout de suite derrière, descend Oscar, fier comme Artaban ; il le peut et le mérite bien ; n’est il pas aujourd’hui un de ces rois parthes arsacides !
Henri est chargé, de la première calèche. Sous les guirlandes partant du mas, Henri aide à monter Thérèse la mère de Renaud.
Renaud de l’autre côté, monte s’asseoir sur la banquette arrière auprès de sa mère. Henri avance la calèche en direction du grand portail pour débuter le cortège. Suivent dans un landau, les témoins et amis des mariés. Puis Jacques et Eulalie, Jean et la fille de Saint Jay, la famille, les couples d’honneur. En avant dernier, la mère d’Anne avec Oscar.
Ferme la marche, la mariée avec son père.
Le cortège passe le portail du mas des Troya du foity enguirlandé des beaux nœuds de Gertrude et trotte vers la placette de l’église.
Le tympan de l’église est décoré, puisqu’en plus du jour du mariage, coïncide la commémoration de sa fondation. Le vicaire général est bien là, avec le curé Caillat, ils sont revêtus des plus belles aubes de la sacristie. Deux enfants de chœur les encadrent, tenant devant eux, un porte cierge en bronze doré, la mèche des cierges est allumée.
Henri fait halte en face.
De la calèche descend Renaud la contournant, prenant la main de sa mère, qu’il aide à descendre.
Les véhicules succèdent au premier, du suivant viennent Oscar et Magdelaine, se mettant derrière Renaud. La placette commence à devenir étroite, les deux prêtres se retournent, font passer les enfants de chœur devant eux et entrent dans l’allée centrale, suivis par les premiers couples. Ils avancent à pas lents ; voire s’arrêtent, pour laisser le temps de la formation du cortège.
Tous les invités sont là.
La calèche de la mariée s’arrête devant les marches du petit parvis. Pierre à son tour contourne la calèche et prend la main de sa fille, Gertrude tient la traîne du surcot et l’arrange derrière elle. Anne prend le bras de son père ils avancent sous le tympan de l’église pleine à craquer de tous les gens des alentours. Et là ?… Surprise :
Dans le chœur de l’église, sont venues les sœurs de Murinais entonnant un chant de louanges pour les futurs époux.
Surprise encore : quand elle voit au fur et à mesure qu’elle entre, de part et d’autre de l’allée centrale, un homme du pays, en costume traditionnel, présenter à Anne et son père l’attribut de leur métier : l’aiguillon pour le bouvier, le semoir et le grain pour le semeur, la seille pour le vacher, la hache et la « gouya » pour le bûcheron, la bride et le fouet pour le charretier, la serpette et l’osier pour le vigneron.
Un hommage rendu à Pierre, ne sachant pas trouver ces gens ici mais venus pour la commémoration, les prêtres ayant maintenu leur présence par égards et respect de cet homme faisant vivre la moitié de la population du coin.
Anne est très émue. Elle tient serré le bras de son père l’amenant jusqu’à la chaise prie-Dieu l’attendant au bout de la nef, devant la balustrade de fer forgé de la table de communion. Auprès d’elle est déjà installé, Renaud, entré le premier très ému lui aussi.
Les parents et amis des Troya sont rangés derrière leur stalle, sauf les Gilot, occupant la stalle des Saint Jay, concédée pour ce jour de noces aux parents et invités des Gilot.
La messe nuptiale est célébrée par le Vicaire Général assisté du curé Caillat, les religieuses émaillent l’office de chants liturgiques à plusieurs voix, répondant aussi aux rites de la messe en latin, jusqu’à la demande attendue :
· Renaud voulez-vous prendre pour épouse Anne ici présente. Lui assurant amour et fidélité, pour le meilleur et pour le pire ?
· Oui je le veux.
· Anne voulez-vous prendre pour époux Renaud ici présent, lui jurer assistance pour toujours ?
· Oui je le veux.
· Au nom de l’Eglise et de Jésus-Christ, nous bénissons ces anneaux signes d’union indéfectible.
Les anneaux sont passés au doigt de chacun, l’un par l’autre.
· Je vous déclare unis par les liens du mariage, que nul ne peut défaire, suivant la volonté de Dieu et de notre très Sainte Mère l’Eglise.
Les deux mères, dans les stalles ont des larmes qu’elles ne peuvent contenir, les pochettes sortent des bourses de velours dans lesquelles elles sont dissimulées. C’est comme cela depuis longtemps et ce le sera toujours.
Les religieuses et les prêtres entonnent un chant de joie et d’amour, demandant à Notre Dame de Quinsivet de veiller sur eux et leur famille.
Les mariés et les témoins gagnent la sacristie pour signer les registres. Les invités les amis présents, défilent pour signer également et félicitent les parents.
Le curé Caillat consigne sur ses actes les noms de tous ceux qui ont assistés et signés à la suite des mariés et de leurs parents. La page des registres est pleine. La quêteuse de velours bordeaux aux bords roulés, posée tout près des registres, s’est remplie de pièces de toutes valeurs, le curé Caillat s’en trouve très satisfait.
À la sacristie, pendant les signatures et les félicitations, Laurence de Saint Jay a longuement parlé avec Magdelaine, puis Pierre, puis Jacques et Eulalie. Pierre et Clément ont échangé une accolade de fraternité. (Qui eut pu le prévoir).
Le couple Saint Jay c’est retiré dans un angle de la sacristie regardant le défilé des gens venus de toutes parts, y compris maître Rival de St.Marcellin, invité jusqu’au mas, pour trinquer le verre de l’amitié. Même les parents de Boissieux ont fait le déplacement, plus surprenant encore, le Comte et la comtesse d’Aberjon de Murinais sont présents.
Les jeunes mariés sortent, Anne tenant le bras de son jeune mari, Renaud son chapeau sur le bras libre, a fort belle allure. Ses cheveux blonds encadrent de soleil son sourire, Anne est resplendissante, heureuse comme une jeune mariée peut l’être.
Les parents maintenant plus sereins, marchent en couple. L’assistance applaudit dès la sortie du seuil de l’église, les jeunes mariés et les parents.
Sous le tympan, les demoiselles d’honneur et leurs cavaliers, jettent des grains de blé sur les époux, en gage de prospérité et de bonheur.
La noce rejoint le mas des Troya où les réjouissances vont commencer.
Il est plus de une heure du jour, quand tout le monde s’est rejoint de la cour à la grande salle, puis au jardin. Les invités, les parents, cherchent sur les tables leur nom, pour repérer leurs places. Un brouhaha de paroles monte des lieux, c’est la joie qui prévaut. Magdelaine profite de l’estrade des musiciens pour dominer la situation, frappe dans ses mains attirant l’attention. Remercie ses hôtes de leur présence et de leur générosité. Convie tout le monde à aller au buffet de Josette sous la tente.
· Servez-vous des « mangeries » disposées en votre honneur. Profitez de tout insiste-t-elle.
Pierre l’ayant rejoint en fait autant, ajoutant le grand bonheur représenté par ses voisins venus assister à la cérémonie.
· Et maintenant dit-il, que la fête commence !
Les musiciens au nombre de trois, les remplaçant sur l’estrade, commencent de jouer des airs de farandoles, de danses ou de musiques du temps, transportées par les ménétriers et les ménestrels d’une province à l’autre.
Jacques et Eulalie entraînent les jeunes mariés sur la piste de danse, leurs demandant d’ouvrir la première farandole, les amis de Jacques arrivent en renfort, formant les premiers maillons, auxquels, au passage, jeunes et moins jeunes, s’attachent pour l’allonger au maximum.
Devant la tente du buffet, sont plantées deux fourches en bois écorcé, prévues pour soutenir la broche des pièces rôties d’animaux entiers.
Josette à un bout de la broche, Gus à l’autre bout, apportent et posent une de ces broches, dans les fourches de bois, sous des ho admiratifs.
Les tonnelets de bon vin des côtes du Rhône, se mettent à couler dans les gobelets d’étain mis pour chaque convive.
Pierre regarde l’ensemble de la table, prend la main de Magdelaine, appelle les époux Gilot, leur disant :
· Cette fois c’est fait, la fête est en route, à nous d’en profiter.
· Allons-y ensemble dit Thérèse !
La nouvelle famille est soudée.
Pierre a prévu de faire venir pour la fin du jour, une troupe de saltimbanques.
Arrivés depuis peu dans la cour, avec leurs chariots recouverts d’une bâche sous laquelle sont déposés leurs matériels, ils sont prêts pour le spectacle.
Jacques fait ranger tout le monde autour de la table en U, dégageant ainsi toute la piste de danse, devenant simultanément la scène.
La troupe se présente à l’assistance, les acrobates caracolent sur les côtés, faisant roues, sauts périlleux, leur chef finissant son batelage.
La représentation commence par des exercices de jonglerie, réalisés entre trois jongleurs, d’abord avec des massues, puis avec des torches enflammées.
Le cracheur de feu, va impressionner fortement toute l’assemblée.
Des équilibristes montent des pyramides humaines, sous les bravos de l’assistance.
La troupe vient saluer dans son ensemble, sous des salves de vivats et d’applaudissements.
La nuit tombe, Henri fait allumer les flambeaux installés tout autour de la cour- jardin. Les danses reprennent, un petit veau rôti, tout doré, est amené sur les fourches, tout le monde se sert au besoin. Le vin monte un peu à la tête, bien normal pour un tel jour.
· Regardez Magdelaine, si Jacques et Jean s’amusent bien avec leurs demoiselles.
· Et bien oui … ça fait plaisir à voir.
· Regardez aussi … Jean a l’air de bien s’entendre avec la fille des Saint Jay.
· En effet … Serait-ce le début d’une idylle ?
· Vous allez vite en besogne ma chère … mademoiselle de Saint Jay n’est pas à sa portée.
· Qu’en savez-vous ? … Les choses se modifient vîtes. Qui aurait pensé voir le Comte de Murinais à l’église ?
· Vous avez peut-être raison.
Sur ce témoignage les deux femmes se lèvent, Magdelaine ayant demandé à Thérèse d’entrer à la grande salle un peu plus calme. Les hommes suivent et s’installent avec deux cousins pour jouer aux cartes.
La soirée commence.
Jacques et Eulalie se sont exténués de toutes ces sauteries. Il lui demande :
· Eulalie, viens avec moi, on va se reposer un peu.
· Où veux-tu aller ?
· J’ai mon idée, suis moi.
Jacques passe par le côté de la maison, entre par la grande porte de l’entrée. Prend les communs et l’escalier de service regagnant l’étage complètement vide on s’en doute. Amène Eulalie par la main, suivant sans résistance. Il ouvre une porte sur le couloir, sa chambre est là. Eulalie qui a compris depuis le début où Jacques veut en venir, le retient sur le pas de la porte.
· Non Jacques pas aujourd’hui.
· Mais au contraire c’est bien le jour, puisque normalement ce devrait être notre mariage aujourd’hui ! … Petit silence …
· Vu sous cet angle … Es-tu sûr de la tranquillité ?
Comme réponse, Jacques pousse le verrou intérieur.
· Nous avons un bon moment avant le départ des jeunes mariés … alors … profitons-en.
Le plancher de chêne, se couvre des vêtements. Jacques la prend dans ses bras la soulève, la pose délicatement sur la couche, lui couvrant le corps de baisers … Eulalie eut des difficultés à étouffer les plaintes amoureuses, les transformant en fougueux baisers.
Jacques et Eulalie viennent de consommer leur union sous le toit de la famille et pour cela, Jacques se sent pleinement satisfait. Un moment plus tard ils ont rejoint la noce, ne s’étant aperçue de rien. Et pourtant … allez savoir ?
On sait seulement que Magdelaine est montée dans sa chambre pour se refaire une beauté.
À ce moment là, la première fusée du feu d’artifice éclaire le ciel de deux étoiles vertes et bleues, tonnant de son pétard, arrachant des cris de surprises aux convives.
Sur le mur du jardin, une ligne de feu du Bengale rouge, éclaire les marronniers par le travers des branches, les nappant d’une âme intense et mystérieuse à la fois. Sur le pré du dessous du mur, où tout le monde s’est précipité dès les feux éteints, deux spécialistes artificiers, ont monté leurs pièces.
Une grande bougie à la main, ils allument les mèches, des fontaines, des cascades et des fusées de toutes les couleurs. Une très rare surprise faite par son père à sa fille et son gendre, car seul les chinois maîtrisent aujourd’hui ce genre de spectacle.
Anne et Renaud crient de joie, encore, encore … ce fut le dernier embrasement sous un ho ! … Que c’est dommage.
La fête reprend sous les marronniers.
Il commence à être tard ou tôt, suivant !
Les jeunes mariés observent de plus en plus souvent vers le groupe de leurs parents.
On voit les têtes se pencher sur les épaules, pour pouvoir se murmurer quelques mots à l’oreille. Magdelaine pose la question à Thérèse :
· Est-ce assez tard ?
· Je crois que oui, répond Thérèse dans un souffle, traduisant sa déception de les voir partir.
Elle souhaite cette nuit interminable. Magdelaine aussi.
Pierre a surpris la scène et l’aparté des deux mamans, il fait un signe à Henri, assis dans la salle un peu en attente. Il est au courant de la destination où il faut conduire les mariés.
Henri sort, va aux écuries, vidées progressivement par le départ de ceux qui doivent aller le plus loin. Il met aux brancards du coupé le cheval d’Oscar, le sort dans la cour aux côtés des quelques uns restés attelés, dont les chevaux ont eu quand même droit, au picotin de fête, avant la nuit, retourne à la salle.
Magdelaine et Thérèse clignent de l’œil, pour avertir les jeunes mariés de passer au bureau. Il n’y eut pas besoin de le faire deux fois.
Anne et Renaud s’y rendent avec le plus possible de discrétion.
Le jeune couple s’éclipse par l’entrée, monte sur le coupé, part sous la douce nuit de juin, rejoindre leur chambre d’amour, qu’Anne et sa mère ont choisi, pour être la chambre de jeune fille de Magdelaine, aux « Grands plans », maison de sa jeunesse et de sa famille les Belissard des Hautes Combes.
La noce se dilue petit à petit. Restent seulement les plus vaillants continuant à danser et à chanter.
Les musiciens montrent de la fatigue, malgré la pose des bateleurs. Un à un les flambeaux dont la flamme chancelle, s’éteignent jusqu’au dernier. La nuit enveloppe les marronniers, la cour, le jardin, … en reprenant ses droits.
C’est le signal de la fin des festivités de ce mariage très réussi. Les derniers partants sont accompagnés jusqu’à leurs moyens de transport ; les dernières embrassades, les derniers saluts de la main. Les parents pensent avoir tourné une page supplémentaire de leur vie.
Reste au mas à cette heure, trois couples des principaux acteurs de ce mariage, Pierre et Magdelaine, les Gilot, Jacques et Eulalie.
Les Gilot émettent le désir de rentrer chez eux par cette belle nuit. Lassés de cette tension, ils sentent avoir besoin de leur chez eux afin de finir cette nuit.
Les Troya et Eulalie les accompagnent jusqu’à leur calèche, qu’Henri toujours l’œil et l’oreille où il faut, avait entendu émettre leur désir et avait attelé leur carriole, maintenant revenu de conduire les jeunes mariés à leur nid d’amours.
Un dernier signe de la main, et la lanterne de la calèche disparaît au premier tournant du chemin. Pierre et Magdelaine rejoignent la maison ayant eux aussi l’idée de se retirer seul.
Restent dans la cour à l’entrée du portail, le couple qui n’en est pas encore un, Jacques et Eulalie. Machinalement, mais aussi par ce lien amoureux qui les unit depuis tant d’années, Jacques prend la main d’Eulalie dans la sienne.
Le dernier croissant de lune de cette nuit des plus claires et des plus douces, avant le premier jour de l’été qui s’approche, sème sur leurs deux êtres et le paysage tout entier, la poudre d’or que l’astre de la nuit est le seul à savoir apposer.
Jacques qui entend au même instant le hululement du grand duc depuis le creux d’un châtaignier tricentenaire qu’il connaît bien, chant de cour à sa femelle sur le nid, serre un peu plus fort la main d’Eulalie. Le courant passant d’une main à l’autre fait tourner la tête d’Eulalie du côté de Jacques.
Ces yeux se plantent dans ceux de Jacques. Commence entre eux ce dialogue muet des personnes qui s’aiment intensément.
Jacques revoit en ce jour tout ce qu’ils ont fait, mais aussi ce qu’ils auraient dû faire, si les événements et la rigueur de leur père respectif ne les avaient pas placés dans cette situation. Ils se rendent bien compte que ce jour devrait être le leur.
Au contraire, ils restent sans situation bien définie, seulement sous la tolérance de ce que Pierre consent, c’est-à-dire une amourette de jeunesse.
Eulalie à tout compris de ce que Jacques a pensé, elle prend Jacques par la taille, pose la tête sur son épaule, sa joue contre la sienne, se serrant contre lui. Elle finit par rompre le silence nocturne poudré d’or, en murmurant à l’oreille de Jacques :
· Je pense à mon avis, que nous avons bien fait de faire ce que nous avons fait tout à l’heure, mon amour est si grand que je ne peux plus le contenir. Quand allons-nous trouver une vraie solution ?
· Je travaille pour cela, fait moi toujours confiance, aidé par ma mère nous y parviendrons.
À la fin de la phrase, les lèvres se sont jointes, ce baiser revêt non plus un caractère sexuel, mais la marque d’un homme et d’une femme voulant au dessus de tout, fonder leur famille et finir leurs jours ensemble.
Jacques sort son cheval du box, le selle sous le tendre regard d’Eulalie, au passage la prend en croupe et la ramène à la ferme de sa jeunesse.
Il tenait une fois de plus sa promesse, respecter les désirs de son père, mais aussi de respecter Eulalie.
Dernières marques humaines de la fin du mariage de sa sœur, mariage cette fois bien terminé.