La saga des troya - Saison 2 - Chapitre 10
Dès le matin, comme d’habitude Pierre se réveille et se lève de bonne heure. Il décide de suivre les conseils de son neveu en allant se promener.
Sa promenade terminée, il rentre à l’auberge. Attend avec impatience, la venue de son neveu. Il est dix heures trente, si tout s’est passé comme prévu par André, il ne doit pas être loin, pense Pierre.
Avec un peu d’avance André arrive à l’auberge. Voit à l’intérieur son oncle, assis sur un banc, en train de parler avec son logeur.
· Bonjour mon oncle, avez-vous passé une bonne nuit ?
· Ah ! … Mon neveu, je ne vous ai pas vu arriver … Bonjour à vous aussi … Ce rendez-vous c’est-il bien passé ? … Mais aussi … quelles nouvelles du Saint-Père ? … Bonnes ?
· Je réponds oui à vos deux questions.
L’aubergiste se retire, laissant l’oncle et le neveu parler librement.
· Comme prévu j’ai eu la chance avec l’aide du Cardinal, de parler assez longtemps au Pape, pour exposer votre demande. Il a pris le temps de lire la réponse de l’Evêque de Grenoble, la lettre de vos amis … Sa curiosité est grande de vous connaître car il est étonné par tant de volonté. Il a fait noter à son secrétaire une entrevue pour vous, entre quatre heures et quatre heures trente après midi … Vous aurez demi-heure pour le convaincre et enlever la partie. … À l’heure qu’il est, tous vos documents sont entre ses mains. … Vous ne pouvez faire autrement, il faut venir à cette entrevue.
· Mais ne vous inquiétez pas mon cher neveu … je m’y rendrai, plutôt deux fois qu’une.
· Ah ! … Vous me soulagez. Car si vous n’aviez pas osé rencontrer le Pape, s’en était fini de ma carrière et de vos espérances. Je viendrai vous chercher à quinze heures trente pour vous introduire sans les obligations normales.
· Entendu je serai prêt.
Comme convenu, il est à l’auberge à quinze heures trente.
Pierre, lui aussi est prêt. Il a revêtu l’habit du mariage de sa fille, le chatoiement du velours de soie sous le soleil d’Avignon, ajoute un peu plus à la présence qu’il dégage dans cet habit.
André le conduit par les entrailles du palais, jusqu’à l’antichambre des réceptions non officielles des personnes voulant audience. Pierre est un peu tendu, car ce n’est pas tous les jours, que l’on peut approcher le Pape et parler avec lui. C’est quand même pour lui un très grand honneur.
André l’a laissé dans l’antichambre en lui disant :
· J’ai vu le Cardinal, il m’a dit que l’audience n’a pas pris de retard au contraire. Nous ne devrions guère attendre. Mon oncle, je vais voir où en est le Pape de sa précédente audience.
Un moment après il revient.
En effet, la grande porte s’ouvre. Le Cardinal de Faubert, dans sa soutane pourpre et sa large ceinture tombant sur le côté le long de sa jambe en deux pans, lui donnent une allure très imposante et solennelle.
· Monsieur des Troya … sa Sainteté le Pape va vous recevoir … Si vous voulez bien me suivre.
Pierre, sans dire mot, emboîte le pas du cardinal, suivi de son neveu.
Le Pape est assis sur un trône très important, doré à la feuille.
Le cardinal s’écarte, montrant de la main tendue sur le côté, la première marche de l’estrade du trône du Saint-Père.
Pierre s’agenouille sur la marche du socle, baise l’anneau du Pape qu’il tend vers lui, puis du pouce le Pape lui donne sa bénédiction sur le front.
· Voici donc, l’homme qui veut me rencontrer à tous prix.
En même temps il lui fait signe de se relever et détaille un peu le personnage qu’il a devant lui. C’est vrai qu’il a fort belle allure.
· Le Cardinal m’a communiqué votre dossier … J’ai pris le temps de le compulser, notamment lu le plaidoyer fait par notre curé Caillat. … J’avoue qu’entre tous ces hommes vous êtes particulièrement soutenu et reconnu pour toutes vos bontés et votre grande dévotion … C’est une bonne chose vous honorant et plaidant vraiment en votre faveur et celle de votre famille … Ce que je veux savoir … Pourquoi vous semblez être tant pressé d’obtenir cette dérogation ?
· Très Saint-Père, rien de plus simple … Je veux que toute ma famille soit apte à se présenter au curé Caillat, afin qu’il puisse baptiser mon petit-fils, et marier mon fils devant Dieu … Ce avant Pâques … Nous souhaitons tous ensemble, honorer par la communion le verbe du Christ et de Saint Pierre.
· Voilà des paroles me comblant, corroborant bien l’idée se faisant de vous tous ceux qui vous connaissent … Vous m’avez convaincu … Cardinal préparez dès ce jour la dérogation que je signerai dès qu’elle sera prête … Je vous bénis mon fils, ainsi que toute votre famille.
Le Saint-Père redonne sa bénédiction, Pierre s’inclinant devant lui.
Remerciant le Saint-Père il se retire.
Pierre suit le Cardinal tout près de son épaule, et lui glisse à l’oreille quelques mots à voix basse, seul le Cardinal les a entendu. On devine de quoi il s’agit. Le cardinal lui répondant simplement : « merci pour eux ».
André sort du palais avec son oncle, l’accompagnant jusqu’à l’auberge. Il reste surpris de la conviction que cet homme peut inspirer.
· Si vous pouvez me donner, demain dans la journée, cette dérogation signée… je partirai après demain matin, pour être de retour au Foity avant le soir.
· C’est possible mon oncle, je m’en occupe.
Le voyage de retour est pour Pierre beaucoup plus léger que l’aller.
Pierre prend une diligence pour rejoindre St.Marcellin depuis Romans.
À St.Marcellin il se rend chez maître Rival, qui lui prête son cabriolet et son cochet, pour le ramener au mas des Troya foity. Le soir venu, Pierre est devant chez lui, sa malle devant la porte du perron, alors que Magdelaine surprise, l’embrasse tendrement.
Une soirée bien remplie, à conter tout ce qui s’est passé à Magdelaine et à Jean.
Pierre fatigué dit simplement à Magdelaine :
· Dites à Jacques, si vous l’attendez, que je veux le voir sans faute, demain matin à mon bureau ou ici.
Remis de son retour Pierre descend de sa chambre, c’est le même rituel, Magdelaine reste au lit.
Jacques informé des désirs de son père, ne dormit pas très bien.
Il veut avoir des détails ; pour cela, se lève plus tôt que les autres jours, rejoint son père à la grande pièce à vivre.
· Bonjour Père. Ce voyage s’est il bien passé ?
· Bonjour Jacques … Oui très bien, je veux te voir tôt ce matin pour t’en parler, car j’ai à faire dès tôt en cette matinée … Un moment pour finir ce petit déjeuner avec toi et nous irons au bureau.
Le père et le fils gagnent la pièce, Jacques toujours au suspend des lèvres de son père.
· Voilà Jacques … je suis allé voir le Pape pour obtenir une dérogation à la loi canon.
Il lui conte en détails ce qui s’est passé, comment, pourquoi. Lui faisant lire à mesure les lettres s’y reportant.
· Pourquoi tant de labeur, père ?
· Je te le devais … C’est l’unique raison … J’étais le seul à t’avoir mis dans cette situation ; je trouve maintenant ridicule et obstiné de t’avoir empêché de t’unir à Eulalie, avant la naissance de Jacques-Pierre … Je devais mettre les choses en ordres, pour que vous soyez, tous les trois, libres de faire ce que vous désirez … La dernière chose que je te demande, traite ce problème en urgence, je me suis engagé auprès du Saint-Père pour que tout soit au point à Pâques.
· Si je comprends bien … tu veux que j’épouse Eulalie au plus vite … Que nous baptisions Jacques-Pierre dans les mêmes délais.
· C’est exactement cela.
· Pâques est le 18 Avril … nous sommes le 14 mars, il nous reste un peu plus d’un mois pour tout faire. Te rends-tu compte ?
· Oui.
· Tout de suite … je vois que nous ne pourrons pas faire de noces avec des invités, c’est trop court pour lancer les invitations.
· Tout à fait.
· Les délais pour les promesses de mariage, sont de trois dimanches, le prêtre doit en faire l’annonce en chaire sur 10 jours… nous sommes en carême … la semaine sainte interdit les unions … Si je comprends bien tu nous bouscules carrément.
· C’est un peu cela si tu veux. … Pour moi ce fut pareil.
· Bien père. Je vais en parler à Eulalie, elle sera certainement bien soulagée.
Pierre range dans sa serviette les documents, part rejoindre la cure de Quinsivet. Le cheval est prêt à l’anneau.
Si je pense bien, je devrai trouver notre curé après sa première messe, se dit-il tout bas, alors qu’il pousse son cheval au galop. Arrive à la cure dans un tourbillon de poussière. Saute de son cheval, pousse le portillon de fer et entre dans le jardin. Trouve son curé dans son jardinet, coupant sur un églantier greffé des fleurs passées.
· Bonjour mon cher curé, allez-vous bien ?
Le prêtre subjugué par l’importance du dossier que doit aujourd’hui détenir Pierre ne répond même pas à sa demande.
· Ha !… Pierre … bonjour, vous avez bien rencontré le Pape ?
· Oui … j’ai là de quoi vous intéresser.
· Ho ! … Alors je laisse mes roses. … Oui c’est comme cela que l’on appelle ces fleurs que nos Croisés ont rapportés de Constantinople … Entrons à la cure.
Sur le bureau, Pierre sort les documents de sa sacoche, les pose sur le coin de la table. Tire la lettre du Saint-Père, adressée particulièrement au curé Caillat.
Le curé n’en revient pas, un pli personnel du Pape à lui un simple curé de campagne !
Il décolle le sceau du parchemin à l’aide d’une lame fine, pour ne pas le briser, il tient à le conserver entier, ouvre le pli et lit en silence.
Pierre n’en connaît pas la teneur, mais le voit changer de couleurs à mesure qu’il passe les lignes, variant de la pâleur à la rougeur.
Pierre n’y tenant plus rompt le silence.
· Qu’est-ce curé ? … des mauvaises nouvelles ?
· Ô ! … Que non, bien au contraire, le Pape me félicite de la position que j’ai prise dans cette affaire et du règlement trouvé pour la commission d’enquête diligentée par l’Evêque de Grenoble.
Ils étaient déjà au courant des réponses, pense Pierre. Comment font-ils ? Le brave curé poursuit :
· En reconnaissance de ce travail, en accord avec l’évêché de Grenoble, il me nomme Chanoine honoraire du diocèse de Grenoble, avec l’ouverture sur les quêtes, de pouvoir retenir les deniers que la charge permet … Il précise aussi, qu’à ma demande … le diocèse affectera à la cure un abbé autorisé par le rang.
Les bras lui tombent, il n’en revient pas. Pierre est heureux pour lui. Ce curé le mérite bien.
· Alors curé … pardon … Monsieur le Chanoine, voulez-vous regarder le reste ?
· Faites voir en effet, car le plus important est peut-être là.
Il regarde en détail, voyant que tout est en règle, le bannissement de l’église levé, avec réintégration sans condition de la famille de Jacques et d’Eulalie ; le curé claque ses mains en disant :
· Bravo nous avons gagné ! … Bon c’est bien … tout est pour le mieux. Que dois-je faire à votre avis, poursuit-il ?
· Faites suivre, comme demandé, vers l’évêché.
· Non … pas pour l’évêché, pour Jacques ?
· Attendez-le pour certainement ce jour … Je ne sais pas ce qu’il a décidé. Il doit le déterminer tout à l’heure avec Eulalie.
Pierre se lève en refermant sa sacoche de cuir.
· Allez … au revoir monsieur le Chanoine !
Le chanoine Caillat, devient rouge à cette appellation.
· C’est encore bien grâce à vous si je le suis … Merci.
· Vous n’avez pas à me remercier … C’est votre valeur qui vous met à ce rang … Au revoir et à bientôt … Merci encore pour tout ce que vous avez fait … Vous avez été irréprochable. Si vous avez besoin d’un renseignement complémentaire, je suis à mon bureau au Foity-haut.
Jacques, ayant mis de l’ordre dans sa tête, revient voir son père.
· Entre Jacques, qu’avez-vous mis au point ?
· Nous pensons, avec Eulalie, aller voir le curé Caillat dès aujourd’hui.
· Non !… plus le curé, le Chanoine depuis ce matin.
· Ah ! Bon … C’est bien pour lui ! … Il est très méritant … (Mais il revient sur le sujet qui pour lui est le plus important.) … Nous allons faire partir la promesse de mariage dès demain pour être annoncée en chaire dimanche 17 mars et 24 mars … L’affichage au tympan de l’église à partir du 16, donc le 27 mars la publication des bans sera faite dans les règles … Il nous restera vingt jours pour tout régler … Nous pensons que nous ferons un mariage avec seulement la famille proche, sans invitation et sans festivités. Rien à voir avec le mariage d’Anne … Reste une importante question : Où logerons-nous avec notre fils ? Qu’en penses-tu ?
· Mais j’ai la réponse : Ici.
· C’est ce que je pensais … seulement la maison n’est pas conditionnée pour deux ménages, pas plus que celle des « Grands plans ». Sauf d’une manière provisoire. Je vais te demander une chose en contrepartie ?
· Laquelle ?
· Celle que je prévois pour tout de suite, la construction de notre maison, dont le financement du départ sera le coût du mariage d’Anne. … Qu’en penses-tu ?
· C’est une bonne idée, je suis d’accord … tu peux compter sur ce financement. Mais où vas-tu la construire ?
· Aux « Quatre chemins » père … sur le versant sud de la colline, face à cette vue grandiose.
· Belle idée, mais as-tu pensé à l’eau ?
· Evidemment … Depuis l’exploitation du bois, je vais souvent sur place, par plaisir. Comme le terrain est nu, bien des choses inaperçues jusque là, en tous cas pour moi, me sont apparues. Notamment la résurgence d’une source qui est là toute l’année, sauf pour les grandes chaleurs, où elle disparaît, mais je pense que la source reste dessous.
· C’est vrai, maintenant que tu m’en parles … Je me souviens mon grand-père me parler de cette eau.
· Et bien, tu vois ! … Mais mieux encore, un peu plus haut … tu te souviens la dépression du terrain ?
· Oui en effet.
· Et bien là, il s’agit d’une petite falaise de molasse très dure, bien marquée par des strates régulières et parallèles, permettant de penser que l’on peut exploiter les matériaux et de beaux matériaux.
· Et bien décidément ces « Quatre chemins » n’ont pas fini de nous étonner !
· Si tu veux, je t’emmènerais sur place te montrer tout cela, Eulalie veut venir voir, car elle ne connaît pas. Je dois la monter cet après midi.
· D’accord nous irons tous … Je demanderai à ta mère si elle veut venir. Rendez-vous ici, j’envoie Henri et la calèche vous chercher.
· Pendant midi Pierre explique à Magdelaine l’idée de Jacques, à laquelle elle se joint sans restriction, rajoutant même qu’elle peut l’aider sur sa cassette personnelle et les rentes de l’héritage de ses parents.
· Tu verras avec lui … Pour moi je lui ouvre un crédit du montant de la noce d’Anne ce qui doit bien faire la bonne moitié d’une maison de bonne taille … Mon fils a toujours de bonnes idées.
· C’est vrai, j’oubliais que ce n’est pas le mien … !!!
Après midi Henri revient des « Grands plans » avec à bord de la calèche, non seulement Eulalie, mais Elisabeth tenant dans ses bras le petit Jacques-Pierre. Jacques ayant dit : il faut que cet enfant voit tout de suite si le coin va lui plaire, comme une boutade adressée à Eulalie, il continue en disant :
· Comme tu ne peux pas porter cet enfant, tu es encore trop faible, c’est Elisabeth qui le fera.
Un moyen comme un autre d’inviter tout le monde.
· Qu’elle bonne idée vous avez eu de venir avec notre petit-fils.
Magdelaine affiche un grand sourire. Jacques, fait descendre Henri.
· Je prends ta place ça fera une personne de moins.
Les femmes et l’enfant derrière sur la banquette, le père et le fils devant sur le siège du conducteur. Allez … hop … direction les « Quatre chemins ». Moins de dix minutes à Bijou et Friquet pour se rendre au croisement. Les pluies d’automne et d’hiver plus celles du printemps n’ont pas arrangé le chemin. Un peu cahoteux quand même, mais rien de grave, quelques travaux sur la partie la plus en pente, et tout deviendra très praticable.
Ils descendent de calèche, sous un soleil resplendissant.
· Montres-nous Jacques, où tu veux situer la maison ?
· C’est là … sur l’autre chemin allant vers le bas sur St.Vérand.
Montrant à tous, la grande plate-forme bordant le chemin.
· Ici la terre me parait la plus profonde, la meilleure aussi pour pouvoir envisager un jardin. … Le plus difficile est d’arracher toutes ces souches, et ça c’est un très gros travail.
Son père acquiesce de la tête en connaisseur qu’il est.
Les femmes suivent le chemin découvrant cette magnifique vue sur le Vercors et la plaine de l’Isère vers le sud-est. Elles sentent l’air pur monter des bois, le soleil de mars réchauffer leur visage et leurs bras.
· C’est bien exposé dit Elisabeth, ayant donné Jacques-Pierre à Magdelaine.
· Le bébé dort tout ce qu’il sait, pour lui les lieux paraissent bien convenir.
Jacques emmène son père, vers la résurgence de la source. Elle est bien là, entre deux dalles de molasse, arrivant par un passage à travers des blocs, plus ou moins gros, brisés par le gel. On la suit plus d’une trentaine de mètres, puis elle disparaît dans le sol, au fond d’une cuvette pleine d’eau.
De ce fait aucun ruisseau n’en part, la laissant seulement connue des gibiers. Souvenez-vous de la harde de chevreuils et de la compagnie de perdreaux, lors de l’exploitation du bois.
Jacques mène son père un peu plus loin, faisant le tour du mamelon dominant le site côté nord. Vers la dépression du sol, lui montre ce qu’il pense pouvoir devenir une carrière. Son père très intéressé est vraiment étonné.
· Si tout ça se vérifie tu viens de faire une belle découverte. … La question se posant, est celle de savoir si cette source disparaissant presque en totalité l’été, est suffisante pour alimenter une maison et ces besoins annexes. … Ecoute Jacques la chose n’est pas insoluble … je connais par oui dire un sourcier, dit, tout à fait fiable.
· Je me suis renseigné aussi, c’est ce que l’on m’a dit.
· Fait le venir au plus tôt, pour en avoir le cœur net.
Le père et le fils font un tour un peu plus large. C’est vrai, la zone est propice à une construction, bien abritée du nord, bien exposée sud-est. Le mamelon le plus haut coupant bien la « bise noire ».
· Si tu veux nous pouvons rentrer … Nous avons vu tout ce qu’il y a à voir. Le reste, c’est une question de moyens de toutes sortes.
Jacques et Eulalie donnent un dernier regard à l’ensemble.
· Est-ce que cela te plaît comme endroit ?
· Oui … Ce n’est pas très loin de chez tes parents … Un peu isolé … Mais pas plus qu’ailleurs après tout, et la vue est vraiment magnifique.
Toute la famille regagne le mas des Troya, où il est clair, les données vont changer.
Il avertit Eulalie qu’il va se rendre vers St.Sauveur trouver le sourcier faisant tant parler de lui.
· Je ne sais pas trop où il habite Eulalie … je ne sais pas combien de temps je vais mettre à le trouver, je sais juste qu’il loge vers la plaine. … Mais ne t’inquiètes pas, je serais là, soit avec, soit sans lui, avant la nuit.
Sur le bord de la route un paysan rentrait à pied.
· Pouvez-vous m’indiquer où habite le sourcier ?
· Ici tout le monde connaît « le » Joseph ! … C’est quand même bien plus loin. Après la descente vers l’Isère au lieu dit « Les glènes » … Quand vous êtes au croisement des chemins, vous prenez à droite, dans la descente c’est la grosse cabane que vous verrez un peu plus loin.
· Merci, avec tous ces renseignements je devrais trouver sans problème.
Enfin il arrive.
· Holà … quelqu’un ?
Un homme approchant la soixantaine, sort sur le pas de la porte, un regard d’acier dans ses yeux bleus.
· Que voulez-vous ?
· Je cherche Joseph des Glènes, dit Glénat, sourcier.
· Vous avez devant vous un Joseph … mais sourcier ? … je ne connais pas.
C’est vrai qu’à cette période tous les gens se servant de dons naturels, sont vite taxés de sorcellerie. Il lui faut donc être prudent.
· Que voulez-vous exactement et qui êtes-vous ?
· Je suis Jacques des Troya vers Quinsivet, je cherche le sourcier.
Au nom de Troya, son visage se détend un peu, son regard s’adoucit. Joseph s’approche du portail de bois, ouvre un battant fait entrer Jacques. Il connaît de renom les Troya, il est sûr de ne rien craindre.
· Excusez ces questions … mais par ces temps incertains, surtout depuis ceux que l’on vient de traverser, il faut être prudent. Vous voulez voir le sourcier, vous l’avez devant vous.
· Votre réputation est venue jusqu’à nous … J’ai besoin d’eau pour construire ma maison, je veux votre avis avant de commencer quoique ce soit.
· Cela ne présente pas de grandes difficultés, sauf celle, de ne rien avoir pour me déplacer … à part mes jambes.
· Nous avons derrière nous ce qu’il faut. (Montrant la calèche, Bijou et Friquet). … Si vous êtes prêt je vous emmène et ramène de suite.
· Le temps de me préparer … je suis à vous.
Joseph sort de la pièce faisant office de chambre, un baluchon à la main, à l’épaule une grande sacoche de coutil beige, dans laquelle on devine un certain matériel. À l’autre épaule une musette.
· Voilà je suis prêt on peut partir.
Jacques tourne brides, Joseph pose son barda derrière, enjambe le marche pied et hop ! … C’est parti.
Arrivés aux « Grands Plans » Jacques loge Joseph.
· Suivez moi Joseph je vais vous conduire à la chambre.
Joseph ramasse son balluchon, le suit. Il s’installe en disant :
· C’est très bien ici, c’est mieux que chez moi.
· Venez prendre une soupe et de quoi manger, quand le soleil sera couché.
· D’accord à tout à l’heure.
Elisabeth lui sert sa soupe au bout de la table, sort le pain, le fromage avec un gros morceau de lard. Joseph s’est copieusement restauré, il s’est servi deux verres de vin, le tout devant le mettre en forme pour demain.
Jacques est un peu impatient de savoir si oui ou non, il va pouvoir construire cette maison à l’endroit de ses rêves. Après une nuit un peu agitée, Jacques se lève de bonne heure, passe chercher Joseph à sa chambre. Joseph est déjà prêt. Sa sacoche de coutil posée sur la table du milieu de la chambre.
· Etes-vous en mesure d’aller voir ces « quatre chemins » ?
· Allons-y ! … Je suis prêt dit Joseph en attrapant au passage la sangle de sa sacoche, qu’il se pend à l’épaule.
Ils arrivent sur place, par un joli soleil matinal baignant littéralement le plateau.
· C’est ici, demande Joseph ?
· Oui c’est là.
· Un bel endroit en effet.
Au bord du chemin herbeux, Jacques attache Bijou et Friquet cherchant à manger l’herbe tendre, mordillant autant le mord que les brins.
· Venez, suivez-moi, je vais vous montrer la résurgence de la source, se tarissant quasiment chaque été.
Arrivé sur place, Joseph suit le ru jusqu’à la cuvette pleine d’une eau claire disparaissant là sans trop savoir pourquoi ni comment. Joseph ausculte du regard les alentours, faisant un lent demi-tour sur lui-même.
· Je vois, bien plus haut, là-bas, trois gros châtaigniers, ils sont vieux ?
· Mon grand père les a toujours vus ici. À chaque coupe nous tournons autour, car ils ont de très grosses châtaignes.
· Ce n’est pas étonnant … Votre source vient du haut sans aucun doute … Expliquant ces beaux arbres. Ce sont eux qui prélèvent le surplus d’eau l’été, pour grossir leurs fruits ils pompent toute l’eau de la résurgence.
· Vous êtes sûr ! Comment cette eau peut-elle être si haute dans la pente ?
· C’est bien le secret des sources elles-mêmes, souvent fonctionnant en siphon, mais allons contrôler tout cela.
De sa besace, il sort trois branches fourchues de coudrier, d’une coudée, qu’il a coupée la veille dans la haie du premier pacage des « Grands plans ». Il choisit celle lui paraissant la meilleure, à l’aide de son couteau il égalise les deux branches et raccourcit le bras commun.
Joseph prend la fourche de coudrier, place chaque main sur un bout faisant un renversement de ses poignets, courbant dans ses mains, les deux brins de la fourche, plaçant devant lui le bout raccourci de la branche commune.
Il se promène de long en large, de haut en bas, faisant des marques dans le sol avec les talons de ses gros sabots.
· Vous voyez Jacques … la source à deux bras, un venant depuis les châtaigniers, c’est le plus gros, l’autre part en se divisant, l’un venant à la résurgence, l’autre allant vers l’ouest sans sortir de terre … Je vais marquer précisément l’endroit de la division.
Joseph reprend sa baguette, coupe le croisement des routes de l’eau.
· C’est ici Jacques … Je vais pouvoir vous dire la profondeur à laquelle se fait la séparation de la résurgence et de la source principale.
Il positionne sa baguette. Le bout ploie, attiré par le sol, les écorces du coudrier se décollent de leur tige dans les mains de Joseph serrant de toutes ses forces. Le bout baisse d’abord rapidement dans un premier temps, puis plus lentement et s’arrête. Mentalement il a évalué le temps mis à la baguette pour s’arrêter. Il refait de cette façon deux essais.
· Pas de doute, c’est ici qu’il faut la capter, je peux vous dire que vous avez là une très grosse source, à environ huit ou neuf coudées de profondeur, ce qui est peu. … Là, est la meilleure place pour un puits ou un captage en tuileaux la descendant sur un bassin. J’estime le débit à dix seilles à la minute ce qui est beaucoup … beaucoup trop … il faudra la diviser.
Jacques reste cloué sur place par tant de précisions. L’homme s’il dit vrai, mérite bien sa réputation, il n’y a pas de raisons d’en douter, vu le sérieux du travail et les résultats déjà obtenus ailleurs qui restent vérifiables.
· Je ne peux plus rien faire pour aujourd’hui, ce travail est épuisant. Il me faut refaire mes réserves d’énergie. Rentrons nous reviendrons demain, vérifier l’ensemble.
Jacques n’insiste pas, il a remarqué l’intérieur de ses mains complètement rougies par les efforts fournis à maintenir sa baguette, avant et pendant la recherche de profondeur. Joseph récupère sa besace et ses instruments, Jacques va chercher Bijou et Friquet bien régalés de l’herbe tendre qu’ils ont eu tout le temps de profiter.
Ils s’arrêtent au mas en passant. Jacques informe son père de ce que Joseph a trouvé. Pierre sort pour saluer Joseph.
· Alors … c’est bon ? De l’eau en suffisance ?
· Ho ! Oui monsieur … c’est certain … beaucoup d’eau !
Le lendemain, le contrôle de Joseph s’avère positif, pas de doute l’endroit repéré pour le creusement est le bon.
Il est ramené chez lui, le règlement de son travail dans sa poche, après un bon repas bien arrosé, puisque l’on a « beaucoup d’eau » !
Jacques décide de faire appel à un puisatier pour creuser la prise d’eau. Le rendez-vous est pris pour le surlendemain.
Trois jours, qu’il met à profit, pour préparer la place en arrachant des souches avec les bœufs et les commis. Le sol mélangé de blocs disparates, n’est pas formé, à cette profondeur tout au moins, par des bancs de molasses lisses et longs. C’est bon signe, mais pas pour autant déterminant.
De nouveau, trois jours plus tard, une dizaine de terrassiers, débarquent d’une carriole avec le puisatier, se mettant tout de suite au travail.
À la fin de la journée, le trou est à hauteur d’homme, sur trois coudées de large.
Deux fois autant et si Joseph a dit juste, on doit trouver beaucoup d’humidité.
Le troisième jour de travail, il faut établir un relais pour remonter les déblais, la profondeur devient importante. Pour le moment le sol est toujours pareil, blocs et terre argileuse, entrecoupés de veines de sable.
Le cinquième jour, le puisatier surveille de plus en plus la terre remontée, la serrant dans sa main, faisant des boulettes, se tenant bien ensemble.
· Arrêtez-vous un moment … Sortez de la fosse … Nous devons attendre un peu, je dois me rendre mieux compte de ce qui se passe.
Le puisatier descend à leur place, s’agenouille sur le fond, plaque l’oreille sur le sol écoutant attentivement. Il se déplace en remontant vers la partie amont de la fosse.
· Ha ! Ça y est, je l’entends clairement, elle est là dessous, pas très loin … Venez écouter monsieur.
Jacques descend dans la fosse, se penche sur le sol, pose l’oreille sur la terre.
· Ho ! … C’est formidable je l’entends !
· Oui … je vous assure qu’au bruit qu’elle fait la source doit être belle.
Le creusement reprend. Un terrassier plante son pic à plusieurs endroits disant en direction de son patron :
· Je touche une dalle de molasse sur presque toute la surface du trou.
Il racle la dalle à nue. D’un coup sec et très appuyé il fend la dalle, l’eau suinte.
· La voilà !
Il redonne un coup de pic L’eau envahit avec rapidité tout le carré, puis tout le fond de la fosse en montant à vue d’œil.
Jacques s’inquiète devant cette eau, n’en finissant pas de monter.
· Nous allons attendre, l’eau doit s’éclaircir, le niveau baisser, en reprenant l’aval de la source … Une chose est sûre, nous pouvons penser faire un captage et descendre l’eau où vous voudrez.
· Je vais y penser, même si l’endroit est provisoire.
· En attendant les hommes vont continuer de creuser une simple tranchée dans la direction que vous m’indiquerez demain, car il se fait tard, restons-en là pour le moment, la nuit n’est pas loin, il faut rentrer.
Les jours suivant, la tranchée est descendue en coupant au plus court, sans créer de contre-pente. Des tombereaux amènent de la poterie de St.Uze, des tubes de terre cuite de forme conique, d’une coudée de long, s’emboîtant les uns à la suite des autres, formant une conduite pouvant être enterrée hors du gel, posée étanche à l’aide d’un mortier de chaux lourde.
Jacques fait monter, pour la construction de la maison, une fontaine-relais provisoire. Elle coule à plein tube jour et nuit. L’eau déversée en permanence, est conduite vers la cuvette, infiltrant toujours le supplément arrivant. Le puisatier a simplement expliqué à Jacques, que cette cuvette est reliée à un puits perdu naturel, il le retrouvera aussi, bien plus loin dans la pente, lui même relié à une rivière souterraine, certainement très importante ayant formée au cours des temps d’importantes cavernes.