La saga des troya - Saison 2 - Chapitre 11
C’est un couple un peu particulier qui se rend à la cure, afin d’y régler en même temps, un mariage et un baptême. Ils y retrouvent un homme déterminé, en la personne du très nouveau chanoine Caillat, qui fixe la cérémonie du mariage pour le 10 avril 1352, ainsi que le baptême, qui se fera tout de suite après le mariage. Leur chanoine, pour ce cas spécial, a pris en mains la direction de l’organisation, ajoutant :
· Vous viendrez me rejoindre à l’église deux fois … nous ferons un chemin de croix ensemble, je vous assisterai.
Devant tant d’autorité, le couple se met aux ordres sans sourciller.
· Bien mon père … Nous acceptons … disent-ils ensemble, voyant la discussion non inclue dans le « marché ».
· Je vous attendrais, tous les deux mardi et mercredi à sept heures du soir.
Quittant son ton de fermeté, le chanoine connaissant le projet de construction de leur maison, leur demande où ils en sont :
· Pas encore très loin mon père … Pour le moment l’eau a été trouvée en abondance, c’est tout … J’ai pu contacter un architecte qui doit venir visiter le terrain, et mettre nos premières idées sur le papier. Son rendez-vous est fixé pour le 15 après midi s’il fait beau. Vous voyez mon père, les dates se suivent.
· Je vois surtout que vous ne devez pas manquer de soucis et de travail.
· Nous sommes encore jeunes il faut en profiter !
Ce brave chanoine ne sait pas quitter ses ouailles sans un mot de gentillesse. Ce faisant il les accompagne jusqu’à la grille du presbytère.
Les jours passent, va suivre la cérémonie. Le matin du 10 avril, le mas des « Grands plans » retrouve la jeunesse du temps de Magdelaine, épousant ici même le 14 juin 1324, son cher mari Pierre, la maison étant encore celle de ses parents toujours vivants.
Magdelaine a beaucoup donné d’elle-même. Ce mariage doit ressembler à un mariage, digne du lieu et de son fils, mais aussi d’Eulalie qu’elle aime beaucoup.
Les quelques invités, et les parents assez nombreux, se retrouvent comme ils lavaient fait au mariage d’Anne, soit aux « Grands plans », soit à l’église. Les amis d’école de Jacques sont déjà arrivés, les de Boissieux avec sa sœur, les Barronat, les Bossan de Saint-Paul-les-Romans, et aussi les amies d’Eulalie connues au couvent des bonnes Sœurs de Murinais.
Eulalie s’est faite faire pour ce jour, une toilette de mariage, Jacques lui l’ayant offerte, dans le but qu’elle soit aussi belle, qu’une mariée doit l’être ce jour là.
Eulalie et Jacques sont certainement les plus heureux de cette réunion, car ils vont enfin pouvoir vivre ensemble. Eulalie va pouvoir chérir son mari et l’aimer autant que puisse se faire, de même son petit Jacques-Pierre, qu’ils appellent depuis peu, du diminutif de Jacpy. C’est gentil, mais cela va certainement lui rester, au moins au sein de sa famille.
Les parents : Pierre, Magdelaine, Germain et Elisabeth, sont dans la même calèche. Oscar provisoirement remis, est venu avec Thérèse, mais il ne va toujours pas bien.
Dans les rangs des bancs et des chaises, de nombreuses personnes de tous les métiers de la terre sont là, d’autres aussi, comme pour remercier Jacques, d’avoir toujours eu pour eux le travail ou l’emploi au bon moment de leur vie. Cette générosité légendaire est là, représentée et réelle.
La stalle des Saint Jay est pleine, toute la famille au grand complet y compris le fils, tous présents pour ce jour. Et puis tout de suite derrière, le marquis de la Porte et le Comte de Murinais, venant ici officialiser leur démarche, mais surtout démontrer leur intégrale approbation aux décisions ecclésiastiques. Jaques et Eulalie sont pour eux des égaux, si ce n’est par le titre, sûrement par la grandeur d’âme.
Le chanoine a prévu avec les intéressés, seulement une bénédiction nuptiale, donnée à l’union des époux pour l’échange des anneaux. Tout de suite après, le chanoine prend la parole comme pour un prêche, mais seulement pour faire l’éloge de la famille de Jacques et d’Eulalie. C’est au silence de toute cette assemblée, que l’on a pu étalonner leur adhésion à ses propos.
Le mariage terminé, le chanoine invite les présents à participer à la signature des registres et de suite après, de bien vouloir prendre part au baptême de l’enfant. Il sera présenté aux fonds baptismaux de l’église dans un moment.
Gertrude a été chargée de garder le bébé et d’attendre les époux, avec la marraine et le parrain, avant qu’ils viennent le chercher.
La marraine n’est autre qu’Eugénie, la fille de Clément de Saint Jay, elle prend dans ses bras le bébé, revêtu d’une somptueuse robe de baptême. Le parrain se joint à la marraine, c’est le meilleur ami de Jacques, François de Boissieux. Tous les deux, suivis du couple des parents, entrent dans l’église, reçus par le chanoine les conduisant au baptistère.
Au moment du baptême, quand le prêtre verse l’eau sur le front, le bébé fait entendre un cri de surprise accompagné d’une grimace pour le sel. L’onction lui est administrée, puis il se remet entre les bras des séraphins, venant de l’accueillir au monde des anges.
Une cérémonie courte, mais recueillie de tous les parents, allant pour la plus part, signer les registres.
On s’embrasse, on s’accole, on se félicite. Pierre est très ému.
Les deux cérémonies terminées, les invités gagnent les « Grands plans » où le repas est servi dans la simplicité. Ce n’est pas pour déplaire à Jacques et Eulalie.
Tout le monde profite bien de cette réunion familiale où l’on voit une fois encore, Eugénie de Saint Jay être plus souvent avec Jean qu’avec le parrain. Il faut dire que leurs âges vont mieux ensemble.
Pour Germain, l’heure de la traite ne peut être remise. Son départ déclenche celui du reste des invités, allant les uns après les autres regagner leur chez eux, et pour certains leur travail.
Magdelaine, Pierre et Jean se retirent aussi, emmenant avec eux Eugénie, faisant halte au mas des Troya. On voit bien qu’elle ne s’y trouve pas si mal.
Quant au trio du jour, Eulalie, Jacques et Jacpy, après avoir aidé Elisabeth et Germain, vont descendre tous les trois, pour la première fois, passer une nuit complète ensemble.
Jacques, en attendant la construction de sa maison, a fait faire de sa chambre et de celle inoccupée, où l’on avait stocké tout le matériel du mariage d’Anne, un petit coin indépendant pour tous les trois. La plus heureuse est Magdelaine, perdant Anne mais gagnant, si l’on peut dire, une fille et un petit fils.
En arrivant au mas, les grands parents, Jean et Eugénie sont entrés à la grande salle. Jean vient d’avoir, depuis le 4 avril, date de son anniversaire, ses 18 ans. Eugénie est de la même année, mais du mois de juillet, le 18.
L’insouciance des deux enfants, est égale à la facilité dans laquelle ils sont élevés. Sur les autres plans, il n’en est pas moins vrai, qu’ils ne sont plus des enfants.
Leurs rencontres ne restent plus tout à fait de même nature. Est-ce cela qui les attirent l’un vers l’autre ?
Ou est-ce Thérèse qui aurait vu juste le jour du mariage d’Anne, en parlant d’anguilles sous roches ?
Toujours est-il, que les deux jeunes gens batifolant dans les couloirs de la maison, finissent en jouant, par se trouver face à face l’un contre l’autre. Un silence de surprise … une interrogation des yeux … les jeunes gens s’enlacent, échangeant leur premier baiser d’adolescent. Aussi confus, l’un que l’autre, ils rejoignent la salle, comme s’ils avaient commis une chose défendue. Et pourtant le premier sillon de leur vie vient peut-être de se tracer.
Dans la minute suivante, Jacques et sa petite famille arrivent.
Pierre et Magdelaine les accueillent, montent à l’appartement le berceau de Jacpy. Magdelaine aide Eulalie à s’installer chez elle. Car c’est bien chez elle qu’elle arrive. Sous le toit de son mari, dans cette chambre où a été conçu Jacques-Pierre. Magdelaine ne perd rien, mais elle ressent comme un basculement … Celui des générations.
Jean raccompagne Eugénie jusque chez elle à pieds, ce n’est pas très loin, mais ils font durer le plaisir. Clément accueille Jean et sa fille dans la cour où il se trouve devant la façade et les fenêtres à meneaux du manoir. Demande à Jean s’il veut rester un moment, pour profiter de la douceur de cette fin de journée d’avril. Plus gêné qu’autre chose, Jean répond non, comme il aurait dit oui, sans trop s’en rendre compte. Le trouble de tout à l’heure peut-être ?
· Comme vous voudrez Jean.
· Je vous remercie Monsieur Clément, mais mes parents ne sont pas avertis, ils vont s’inquiéter, les chemins ne sont pas toujours sans mauvaises rencontres, surtout la nuit.
· Dans ce cas … vous avez raison, vous devez rentrer, c’est bien de réagir comme cela. … Vous gagnez beaucoup à être connu en profondeur !
· Au revoir Eugénie, dit Jean légèrement rosi par les paroles de Clément, … à bientôt. … Au revoir Monsieur.
· À bientôt Jean … J’aurai toujours grand plaisir à te rencontrer … Tu peux passer ici quand tu veux … N’est-ce pas père ?
· Oui, en effet, quand il veut.
Jean rentre chez lui, en se posant une question … Que s’est il passé aujourd’hui ?
Le 15, Jacques a rendez-vous avec son architecte. Souvent Jacques et Eulalie parlent de leur maison, ne voulant pas faire une maison trop inspirée des constructions connues, comme celle par exemple du mas du foity, pourtant une très belle maison. Mais ils voudraient y inclure un peu de modernité, en ajoutant des commodités de toutes sortes, dont on parle en ce moment.
Ensemble ils font des croquis du rez-de-chaussée, du premier, pensent aux dépendances, box, écuries, hangars ou remises ; organisent sur le papier la façon de relier les pièces. Etudient leur grandeur pour trouver le compromis entre le château et la maison de maître.
Aujourd’hui Jacques en se levant va regarder dehors. S’il fait beau, l’architecte doit venir et se rendre sur place.
Quand il pousse le volet de bois, avec un peu d’anxiété, il est agréablement renseigné, le ciel est d’un bleu pur, à l’Est l’aube commence à laisser la place au soleil, décidé à briller sans compromis.
Eulalie, elle aussi est un peu fébrile, car ce sera la première maison à laquelle Eulalie prendra part pour sa construction, pressée de savoir elle lui pose cette question de son lit, tout en sautant sur le plancher et rejoindre Jean à la fenêtre :
· Va-t-il faire beau Jacques ?
· Je suis sûr que oui … ou alors … il faut que je change de métier !
Eulalie étant habituée à se lever de bonne heure, arrive à la fenêtre, s’accoude à côté de lui, regardant tout autour.
· Tu as raison, il va faire une belle journée. C’est un bon présage se manifestant pour notre maison.
Henri a été chargé de tenir prête la charrette à deux roues avec Bijou. Il ne sait pas comment va venir ici son architecte depuis Romans ou plus exactement, d’à côté, du monastère montée de St. Donat.
Peu de temps après la réponse lui est donnée. Arrive dans la cour, une calèche légère à quatre roues, tirée par un beau bai brun. Le cheval est couvert d’écume autour des harnais et des sangles, montrant qu’il a été un peu trop sollicité pour arriver ici, avec cette calèche tout de même un peu lourde pour lui.
Henri n’est pas sans le remarquer, pense que ce cheval a besoin de se reposer et de boire de l’eau tiède.
Jacques sort sur le perron afin de recevoir son architecte.
Descend de la calèche, un homme assez grand, bien mis, de l’âge de Jacques, environ la trentaine. Il prend sur le siège de l’arrière, un grand carton plat à soufflets, puis rejoint Jacques. Henri venu prendre la bride fait un peu la grimace, Jacques remarque aussi l’état du cheval :
· Henri, occupez-vous de ce cheval … mettez le au calme, bouchonnez le pour bien le sécher.
· Merci monsieur, de bien vouloir vous en occuper … se retournant vers Jacques resté sur le perron, le salut d’un amical sourire … Bonjour monsieur, c’est bien vous qui m’avez demandez venir pour construire. … Je suis bien chez monsieur Jacques des Troya ?
· En effet, vous l’êtes et c’est bien moi … Voulez-vous, vous débarrasser et boire un peu d’eau, ou autre chose avant que nous nous rendions sur les lieux.
· Je veux bien, et vous dit d’avance merci, j’ai fait pour venir, un bon bout de chemin.
· Alors, entrez s’il vous plaît.
Monsieur Magnat, (c’est son nom) entre en suivant Jacques. Il a toujours sous le bras, ce grand carton à soufflets qu’il montre à Jacques.
· Je vous ai apporté dans ce carton, des épures, des plans de maisons d’un peu tous les styles, de plus ou moins plus ou moins grandes taille.
Josette apporte sur un plateau de quoi se désaltérer. L’architecte boit avec envie un premier verre de sirop de mures fait ici, avec beaucoup d’eau.
· Voilà un verre qui me fait particulièrement du bien.
Eulalie a entendu cette arrivée, elle entre dans la salle. Les hommes se lèvent.
· Voici ma femme Eulalie … Vous verrez elle a beaucoup d’idées.
· Bonjour madame. Vos idées seront les biens venus, car c’est souvent par les idées des propriétaires, que l’on avance le plus dans la conception d’une maison. Je vais vous montrer quelques façades pour vous donner des idées.
· Oui, nous sommes là pour cela.
Va commencer un tri long et difficile. Jacques tire devant lui le paquet des dessins qu’il a sélectionnés.
· Regarde Eulalie ce que je pense être dans nos goûts et nos possibilités.
Jacques pose devant Eulalie le paquet de planches. Eulalie les passe en revue avec plus d’attention que la première fois, les séparant elle aussi, en deux tas.
· Que penses-tu de ces trois là ?
· Ho ! Ho ! … Oui, nous avons bien les mêmes goûts.
Les trois planches correspondent à une architecture simple mais belle par ses volumes, les ouvertures sont grandes, en tous cas plus grandes que celles faites ces dernières années.
L’architecte commente l’extérieur ou l’intérieur, suivant l’architecture des façades. Il fait remarquer aussi, que ce genre de linteaux ne peut être mis en place seulement pour le rez-de-chaussée dans les grandes largeurs. Mais précisa-t-il :
· L’étage, doit garder des fenêtres moins larges, soit avec un cintre plus court, voire même des linteaux droits. …Nous pouvons aussi, pour adoucir l’ensemble, sculpter la clé du linteau d’un motif à votre choix, soit géométrique ou autres, le sculpteur vous proposera des motifs si vous optez pour cette solution.
· Nous aimerions aussi, avoir un perron abrité, reposant sur deux colonnes ou piliers, formé d’un fronton en forme de triangle. Est-ce possible ?
· Aucun problème, j’en tiendrai compte dans mon étude. … Maintenant qu’est déterminé l’architecture de la façade dans ses grandes lignes, nous allons passer au rez-de-chaussée. … D’abord, dites moi combien de pièces vous voulez sur le rez-de-chaussée ?
· Au moins quatre, dont une plus petite, facile à chauffer l’hiver avec une cheminée, pour être plus confortable.
· Je vois … Attendez.
Il feuillette ses dessins, en tire un avec à peu près le nombre de pièces.
· Là, vous êtes bien dans ce que nous désirons.
· Alors voyons les étages. Le premier regroupera les chambres en nombre suffisant, qu’il faudra me fixer, car ce nombre peut déterminer la surface du rez-de-chaussée.
· Nous en voulons au moins quatre, voire cinq.
· Bon, alors voilà … Un escalier partant du vestibule face à l’entrée, gagne le haut sur un palier formant une galerie à droite et à gauche, est-ce le genre que vous recherchez ?
· Du bien moderne dit Eulalie … Je crois avoir trouvée la maison de mes rêves.
· Je dois aussi m’assurer de la stabilité du sol et de son possible creusement pour les caves.
· Nous y allons dès que vous le désirez ?
· Et bien partons … Je laisse ici mes plans. … Ils ne gêneront pas ?
· Non, non … nous n’attendons personne, mes parents non plus.
Bijou est dans la cour attendant le bon plaisir de chacun.
· Je vous laisse aller seul, ces points techniques ne me concernent pas … J’en profiterais pour montrer les plans de nos choix à Magdelaine et à Pierre dès leur retour.
· D’accord. Nous partons.
Dès arrivé sur place, l’architecte s’extasie sur la vue.
· Une pareille vue mérite que l’on en tienne compte … je vais le faire sur mon projet. … Montrez-moi l’endroit où vous voulez faire extraire les pierres de taille ?
Jacques le dirige vers le site. Il examine avec soin les bancs de molasse.
· Je pense … dès la découverte faite … trouver des pierres permettant de faire tout ce à quoi nous avons pensé … Je pense aussi qu’il faut élever le rez-de-chaussée, pour profiter de la vue au niveau des pièces d’une belle façon. Nous créerons un escalier en pierre avec une rampe en courbe se resserrant sur un perron important. Qu’en pensez-vous ?
· Pour moi tout est bien, car la vue nous a fait choisir cet emplacement.
· Et bien d’accord, nous pouvons retourner chez vous.
Bijou ramène les deux hommes au mas. En entrant ils trouvent Eulalie et ses beaux-parents en train de compulser les plans, leur expliquant en gros les choix retenus. Pierre se retourne, voit l’architecte près de lui.
· Bonjour monsieur Magnat, qu’en pensez-vous de cet endroit ?
· Il est parfait pour moi, et m’a déjà inspiré. Je crois que je vais réaliser la plus belle de mes constructions.
· À ce point ?
· Mais oui. Il s’avance un peu plus près de Magdelaine, parlant en « femmes » de la maison avec Eulalie.
Il la salue courtoisement.
· Vous êtes plus jeune que je le pensais monsieur Magnat.
· Est-ce un ennui madame ?
· Non, non, au contraire, ce sont les jeunes qui ont des idées jeunes.
· Je vous remercie. J’essaierai d’être à la hauteur. Je vais me mettre à l’étude tout de suite. Comptons une bonne semaine pour le premier projet. Prenons rendez-vous, si vous le voulez bien, pour le 22 avril suivant Pâques ? … Entre temps je vous envoie l’entreprise qui donnera son avis pour l’exploitation des pierres de molasse, ce grès est si fin que l’utiliser sera un plaisir.
· Très bien pour nous monsieur, je confirme donc : au 22.
Après avoir pris soin du beau bai brun, bien nourri, et remonté d’un picotin ; Henri le sort attelé à sa calèche légère, pourtant bien trop lourde pour lui. Il doit cependant ramener l’architecte, montée de St. Donat à Romans.
Le mardi 19, un cavalier passe le portail du mas. Gertrude ouvre à l’étranger.
Il se présente pour être monsieur Perrin, carrier et tailleur de pierres, habitant vers Iseron, plus exactement à « Chagneux » entre Iseron et Cognin ; qu’il vient pour mettre en place l’exploitation des bancs de molasse ; qu’il est envoyé par monsieur Roland Magnat architecte. Gertrude n’a pas pu caser un mot.
Pierre se trouvant dans son bureau, a entendu ce qu’a dit monsieur Perrin, et vient en disant :
· Je m’en occupe Gertrude, merci. … S’adressant à Perrin : c’est mon fils l’intéressé … Il est occupé à son travail … Si vous avez le temps, voulez-vous attendre un moment, il n’est pas loin ?
· Evidement monsieur, je préfère attendre un peu, plutôt que d’avoir à revenir.
· Bien … alors suivez-moi. Vous attendrez avec moi au bureau.
Perrin s’assied, parle de son travail, lui disant qu’il exploite le long de la montagne, face à St. Marcellin / St. Sauveur, une carrière de marbre, assez rare dans la région, au moins pour une importante veine. Le plus important de la carrière étant un très beau calcaire crème.
· Voici mon fils Jacques … Il arrive. Votre attente n’a pas été trop longue.
· Non non, c’est très peu !
Jacques écoute monsieur Perrin lui répéter ce qu’il vient de dire à son père. Il rajoute cependant, qu’il est venu sur place pour voir ce qu’il en est, avant de rendre une réponse à l’architecte.
· Je suis libre jusqu’à midi, nous pouvons nous rendre sur place.
· Je veux bien … Je vous suis.
Perrin monte à cheval, Jacques en fait autant, le conduit jusqu’à la dépression où se trouve la molasse.
Dans les fontes de selle, Perrin a mis, roulé dans un très grand chiffon, une dizaine de ciseaux et de broches, plus un têtu et un maillet ferré, les retire, ayant attaché son cheval à côté de celui de Jacques, à une souche de châtaignier.
Il choisit deux ciseaux à large panne, met à nu le dessus de la molasse, choisit une strate très nette, enfonce dans la strate, d’abord un, puis deux, puis trois, puis quatre ciseaux. Une fissure s’amorce en s’ouvrant un peu.
D’un coup, dans un craquement fort et sec, un très gros morceau de molasse se décolle de l’ensemble. Faisant levier sur les broches, il soulève le bloc de molasse de huit pouces d’épaisseur.
Ses doigts, aussi durs que la pierre, s’enfilent dans la fente, d’un coup de reins, il retourne le bloc un peu difforme, mais dont les deux faces sont restées parfaitement parallèles. La face qui était au contact, ressort d’une couleur ocre doré vraiment très belle. Perrin la tâte de la main, la caresse presque, en disant :
· Un beau grain ma foi … en plus très dur et fin … si la molasse n’était pas bonne, les deux parties se seraient délitées en petites couches et en morceaux. Cela aurait été la preuve de ne pas pouvoir l’utiliser. Alors que là, voyez, le bord cassé est net et sans fissures.
· Ce qui veut dire ?
· Cette molasse répond aux critères d’une exploitation. Les tailleurs de pierre en feront ce qu’ils voudront, ce grès est de toute première qualité. … Quant à moi, je suis sûr, que l’exploitation à la poudre peut se faire sans craintes pour des grandes quantités. C’est vraiment une fortune.
· Oui … C’est vrai, je m’en rends mieux compte maintenant … Certainement la magie des « Quatre chemins ».
Monsieur Perrin retourne à Chagneux au pied de son Vercors, attendant de l’architecte l’accord pour commencer l’exploitation.
L’architecte, comme il l’avait promis, est là le 22 avril après midi, déroulant sur la table de la grande pièce les plans de la maison qu’il a imaginée en suivant les idées de ses clients. Du carton il sort le plan de la façade. Toute la famille est là pour voir la réussite qu’il a prédit.
Ho ! Oui … Tout est là … Finement dessiné, chaque détail, des moulures, des coudières de fenêtre à renvoi d’eau, des linteaux, des cintres, des sculptures, sont figurés, avec pour les rendre plus vivants, des ombres savamment disposées.
L’escalier, en courbes symétriques, bordé par une rampe massive à bahut en pierres arrondies sur leurs bords, monte jusqu’au perron
L’entrée, est légèrement en avant de la façade générale. Surmontée par un fronton triangulaire, reposant sur deux colonnes. Le perron, se trouve de ce fait abrité par cette dépassée. Une bonne idée vraiment, apportant un relief à l’ensemble. Cet ensemble, escaliers, terrasse, garde-corps, et murs porteurs, forment comme un socle à cette maison, se trouvant comme soutenue, pour être présentée.
L’ensemble est splendide, peut-être un peu trop, à l’idée de Jacques. Mais Eulalie et Magdelaine, littéralement emballées, le supplient de ne rien faire toucher.
C’est bien connu : « ce que femme veut, Dieu le veut. » ! … Jacques succombera, dans la mesure du coût.
Le rez-de-chaussée est exactement prévu comme le premier jour, à un détail près. L’architecte a pensé pour la cuisine, d’ajouter à la cheminée, un feu sur cendrier, à trois trous, dans lesquels on dépose des braises très rouge, permettant au travers d’une grille en fer, de cuire des petits plats, comme les œufs par exemple, ou chauffer de l’eau dans des casseroles en cuivre étamées à l’intérieur. C’est la dernière nouveauté des arts culinaires. L’étage est conçu aussi comme prévu au départ du projet. Le grand escalier est en pierre avec une rampe en fer forgé. Les marches restent à choisir, entre le marbre gris clair, ou le calcaire dur crème, les deux matériaux venant de chez Perrin. Nous verrons la différence de prix a dit Jacques.
L’architecte fait voir aussi, un plan masse, représentant la position de la maison par rapport au chemin, à la vue et au terrain. Une esquisse de jardin est figurée, pour une option définitive prise au moment propice, dès lors que tous les déblais des terres auront trouvés leur place.
Il situe avec précision l’emplacement des fondations. Roland Magnat se sert de la légère déclivité du terrain, pour rehausser encore un peu la maison et permettre de créer un jardin en deux terrasses, avec notamment un grand bassin rond, utilisant l’eau de la fontaine, avant qu’elle soit rendue au sol vers la cuvette en puits-perdu. Une idée ne manquant pas d’intérêt.
Tous posent des questions, sur ceci ou sur cela, en fonction de leur préoccupations personnelles, auxquelles l’architecte répond et instruit le pourquoi et le comment.
Jacques plus pragmatique, pose la question à laquelle son père pense aussi :
· Avez-vous chiffré les travaux en première estimation ?
· Oui … En tenant compte du rapport de monsieur Perrin pour utiliser et exploiter les matériaux sur place, plus le coût de revient de cette exploitation, j’ai pu faire ce devis.
Jacques le regarde page par page, pour arriver à la dernière où figure le chiffre global, il n’a pas trop d’idée sur la chose, paraît surpris, mais dans le bon sens.
Il passe le document à son père, devant financer la grosse partie. Pierre fait la même démarche dans un silence presque religieux, il le rompt pour dire :
· Pendant cette semaine passée, j’ai pris le temps de récapituler le coût de ce que tu sais. (Il fait allusion au mariage d’Anne). En fonction de la somme que j’ai sous les yeux, de celle à laquelle je suis arrivé, je peux te dire oui, c’est possible.
Jacques ayant des moyens personnels, auxquels sa mère veut absolument s’associer, fera largement la différence de ce qu’il reste à chiffrer, plus les imprévus.
Magdelaine se lève :
· Trinquons à la réalisation de ce projet. Pour cela j’ai préparé une petite collation. Voulez-vous en profiter monsieur Magnat ?
· Je veux bien, en plus, j’ai beaucoup parlé ! Dit-il en riant.
Un moment après dans le brouhaha des uns et des autres où Gertrude s’est mêlée, Jacques accompagne son architecte jusqu’au perron.
· Je m’occupe de tout. Je vais contacter les gens qu’il faut, maçons, tailleurs de pierres, sculpteurs. J’enverrai Monsieur Perrin pour ouvrir la carrière et mettre les premiers blocs à disposition, pendant que les terrassiers prépareront la plate-forme du jardin, en faisant les fondations de la maison. Je viendrai sur place la tracer moi même. Nous, nous reverrons pour l’acceptation définitive, mais je suis sûr … tout ira bien. Je vous tiens au courant.
Ce jeune architecte a une réputation à se faire, il veut commencer là. Jacques va lui offrir l’opportunité. Les jours, deviennent des jours d’attente pour Jacques et Eulalie, allant souvent avec les plans sur le terrain, situer exactement où et comment s’organisera l’ensemble de cette maison. Une dernière visite de monsieur Magnat, a réglé les derniers détails et les accords définitifs.
Un jour de juin, Jacques voit arriver, deux grosses carrioles tirées par des percherons, suivies par un chariot fourgon en bois complètement clos, celui des artificiers mineurs, dans lequel, poudre, mèches et autres engins explosifs sont rangés à l’abri. Sur les deux premières tout un matériel lourd de carriers et de terrassiers. Puis encore à la suite, deux énormes tombereaux avec des roues plus hautes qu’un homme, l’un à ridelles, l’autre à plateau sur lequel est couché pour le moment, des chèvres et des treuils à moufle de corde. Dans l’autre, des barres à mines, des pressons, des pinces et tout un arsenal d’outils.
Monsieur Perrin arrive avec son équipe, et vont réaliser les premiers travaux de carrière. Avec Jacques, il règle quelques problèmes d’intendance et de logement des hommes et des bêtes.
Ceci fait, le convoi prend la direction des « Quatre chemins ».
Depuis ce jour, chaque matin, le coteau est réveillé par la série d’explosions des tirs de mines. Les moellons de pierre, travaillés par les carriers se rangent aux abords de l’emplacement de la maison, où l’entreprise de maçonnerie et les terrassiers ont avancé les fondations.
Les bœufs des fermes des Troya, ont été mis à contribution pour arracher les souches de châtaigniers et depuis le début des travaux, le paysage a beaucoup changé, grâce à tous ces gens, travaillant dans leur spécialité à la réalisation de l’ensemble, sous la direction de Roland Magnat architecte.
Le gros des travaux de terrassement est maintenant bien avancé. Les terrassiers ont creusé jusqu’au banc de molasse, afin de trouver une assise solide à la construction.
Le nombre des maçons augmente à mesure des besoins. C’est le cas ces jours, il faut araser le fond des fouilles de niveau de façon rectiligne, commencer à bâtir les murs avec les moellons de molasse entreposés autour, en tas.
Le gros tombereau des Perrin, déverse sur le bord des tranchées les brisures de pierre pour maçonner sur le fond des fouilles, un dégauchissage des inégalités du banc dégarni à vif. L’eau entre en jeu, devenant indispensable à la préparation du mortier, pour lequel on utilise le sable tamisé de l’exploitation de la carrière. Autrement dit tout est parfaitement utilisé.
Cette semelle est longue et délicate à faire, surtout de laisser à la chaux lourde le temps de faire sa prise, ce n’est pas rapide malgré la chaleur de l’été montrant le bout de son nez.
Pour le moment tout va bien, les travaux avancent normalement, les déblais, sont utilisés pour créer les plates-formes du tour de la maison, de la terrasse, des communs.
Les niveaux commencent à apparaître. L’idée de l’ensemble vient à l’évidence et ma foi, cela a de l’allure.
L’architecte a, à ce stade d’avancement des travaux, fait venir les compagnons sculpteurs, commençant par avance, la sculpture des pierres, allant servir à la réalisation des fenêtres et de la moulure d’entre niveau. Les carriers ont mis à part les plus belles pierres, ayant la même couleur et surtout les plus dures.
Sur plan ils se sont mis au travail. En plus des détonations du matin et les coups des têtus sur la pierre, on entend tout le jour le bruit des frappes des massettes, sur les ciseaux et les ripes, les ciselets ou les broches. Un martèlement incessant et presque scandé, se muant en roulement.
La ruche, pourrait-on dire, est affairée à son travail. Les plates-formes dégrossies par les terrassiers sont presque toutes occupées par une corporation.
Ce sont les moissons de juillet, quand sortent de terre les premiers murs de grès tendre, blond comme les blés que l’on gerbe sur les champs, le mur atteint le niveau de la terrasse, elle même dégrossie en maçonnerie de molasse sur laquelle on posera un sol de pierres en calcaire dur de chez Perrin comme les marches.
Les tailleurs de pierres, les sculpteurs, ont appareillé les linteaux, les pieds droits, les appuis de fenêtre, les clés et les cintres en anse de panier, pierre par pierre la moulure d’angle s’est ajustée.
C’est du beau travail !
À la fin de l’automne, la construction est au niveau de la toiture. Entre temps, monsieur Magnat a alerté les couvreurs, ils ont déjà fait approvisionner en tuiles creuses le chantier.
Depuis l’atelier, les charpentiers ont taillé les bois nécessaires à réaliser cette charpente montée sur chantier à St. Marcellin. Tous les porteurs sont en chêne, les fermes aussi, les chevrons resteront dans la tradition du cru. Comme par le passé, ce seront des barres de châtaignier refendues en deux, qui serviront de berceau à la tuile versante.
Les charpentiers venus avec leur travail, ont levé l’ensemble en quelques semaines. Les tuiles mises en place finissent le résultat de ce superbe corps de bâtiment.
Les plombiers ferblantiers, réalisent en même temps que les couvreurs, les oculus ovales en toiture, allant donner le jour et l’air.
Tout le toit est en place, le bâtiment est hors d’eau. Nous sommes les derniers jours d’août, il fait de plus en plus lourd. Les orages ne sont pas loin. L’après midi du 17 un violent orage se déclenche et arrose plus que copieusement, toute la région et particulièrement le coteau des « Quatre chemins ». La terre est gorgée de l’eau, ruisselante de toutes parts. En prenant le travail le 18 au matin … stupeur, le banc de molasse sur lequel repose la maison est inondé. Une hauteur d’eau arrive aux genoux.
Jacques bien contrarié par cette nouvelle, se rend sur place. L’architecte que l’on fait venir examine s’il y a des dégâts. Sans aucun doute, le bras de la source allant à la cuvette, s’est recréé à travers le sol remplissant l’espace creusé, faisant appel de l’eau, ceci par gros temps.
L’architecte décide de faire une percée au travers du mur, pour permettre à l’eau de s’écouler. Mais dit-il, cela peut revenir, il ne faut pas laisser au phénomène la possibilité de se reproduire. Il décide donc de supprimer le bras du ru sortant de terre, en le canalisant dès le départ de la division, de le conduire de façon étanche jusqu’à la cuvette si l’idée lui reprenait de se manifester.
En passant, on ramassera les eaux des toitures peut-être aussi responsables de l’inondation. Une façon de traiter deux problèmes à la fois, avec le trop plein du bassin.
· Nous nous en sortons bien, dit à Jacques, monsieur Magnat.
À l’abri des intempéries, les maçons ont repris les voûtes soutenant maintenant le sol du rez-de-chaussée en rejoignant les murs de refends.
Les Perrin ont approvisionné le chantier en caillasse, pour créer l’allée principale, la cour des communs, dont les murs sont largement sortis de terre. Pendant tout le temps des travaux de toiture et de maçonnerie du niveau des oculus, les carriers ont entassé les pierres nécessaires pour le bassin, les murs des terrasses du jardin, voire un peu plus. Vers la carrière, un énorme tas peut être utilisé éventuellement pour les clôtures.
En partant avec son matériel et ses ouvriers, Perrin a dit :
· S’il le faut je reviendrais faire un tir ou deux pour approvisionner. Je dois préparer à « Chagneux » les marches et les dalles de calcaire dur, pour l’extérieur. Avec aussi, les marches et les dalles de l’intérieur, qui seront en marbre gris.
Monsieur Perrin ayant fait le même prix pour l’un ou pour l’autre.
Une gentillesse, a-t-il dit, et un remerciement pour avoir bien traité ses hommes et ses bêtes.
Le reste des sols du rez-de-chaussée est prévu en carreaux de terre cuite, de différentes formes, fabriqués par les ateliers de St.Uze sur les bords de la Galaure. Certains seront vernissés, pour les pièces à forte occupation, comme la cuisine par exemple.
Pendant l’hiver, le chantier s’est ralenti un peu. Les menuisiers ont mis le bâtiment hors d’air, leur permettant de réaliser au premier, les planchers.
Pour la même raison, les maçons posent les carreaux du rez-de-chaussée.
Les ferronniers, ont posé leurs rampes de fer forgé, sur les deux côtés des marches. Elles se poursuivent au bord de la galerie, formant son garde corps.
L’hiver passe, le printemps arrive, avec la douceur appréciée de cette saison.
Pendant tout ce temps, au moins pendant les jours de beau temps, Jacques a occupé ses hommes et ses bœufs au nivellement de la terre. Terre manquant un peu, que Jacques a choisi de prendre plus bas, sur le fond d’une prairie. Il la transporte, dans des tombereaux tirés par les bœufs, jusqu’aux plates-formes du jardin.
Petit à petit ce jardin prend tournure. Les terrasses garnies de terre jusqu’aux deux murs de soutènement laissent deviner du résultat final.
Mais il reste encore bien du travail, ne décourageant pas Jacques, bien au contraire.
En 1354, les travaux sont terminés pour la fin juin. Presque deux ans d’efforts, pendant lesquels, il s’est passé, aussi, dans les autres familles, bien des événements.