La saga des troya - Saison 2 - Chapitre 8
Une famille soudée
L’été approche, le soleil de plus en plus haut est à son zénith, les jours de plus en plus longs maintiennent les hommes aux champs. Mais personne ne se plaint.
Juillet le mois redouté pour ses orages, arrive aussi. C’est le mois des moissons, une récolte importante et indispensable.
À l’occasion de ces travaux, Jacques se rend aux « Grands plans » examiner la qualité du grain et sa maturité. Germain tout surpris de le voir, semble attendre une question, en fait il eut des compliments :
· C’est bien Germain. Les grains sont bien pleins et secs, la moisson va pouvoir commencer … Comment va mon filleul ?
· Il pousse comme ont poussé les avoines du « Plan de la tour » à toute vitesse ! … Allez le voir à la maison, vous ferrez plaisir aux femmes.
· C’est d’accord je vais y passer.
Jacques tourne bride, va vers la maison des « Grands plans ».
Dans la cour Thérèse rince les outres en peau de chèvres, au bassin de la ferme, elles attendront la traite du soir avec celles déjà pleines du lait du matin, et resteront à l’abri de l’air, jusqu’à ce que le lait refroidi, soit versé dans les jarres à caillées, qui deviendra à son tour les vraies tommes de St.Marcellin.
· Quelle belle eau, dit Jacques, surprenant un peu Thérèse ne l’ayant pas vu dans son dos.
· Oui, mon cher Jacques, elle est si fraîche, regardez, mes mains violacent de froid.
Jacques se penche au bec de la fontaine, boit de grandes lampées de cette eau fraîche et pure.
· Ça fait du bien … Il commence vraiment à faire chaud. … La fin de journée va être lourde.
· Oui, Germain a peur de l’orage depuis ce matin … Jacques, je sais qu’Eulalie veut vous voir, puisque vous êtes là, allez-y, elle est comme tous les matins à la laiterie.
· Vous savez pourquoi elle veut me voir ?
· Non, elle ne me l’a pas dit.
· Bon … je vais y aller.
Jacques se dirige vers la laiterie attenante à la maison, trouve Eulalie.
· Bonjour ma chère Eulalie, comment vas-tu ? … Avec tous ces travaux de récolte, je t’ai un peu délaissé, me pardonnes-tu ?
· Oui, tu le sais bien, je me demande ce que je ne te pardonnerai pas ? …
· Que me veux-tu ?
Eulalie, s’essuie les mains au linge accroché au coin de la pierre d’évier. Elle semble gênée, s’approche de Jacques, l’embrasse d’un petit baiser sur les lèvres … Hésite …
· Ecoute Jacques, je ne sais trop comment te le dire … Mais je suis à peu prés sûre d’être enceinte depuis le mariage de ta sœur. C’est la dernière fois que l’on s’est vu.
Jacques a légèrement pâli à l’annonce.
· Tu en es sûre ?
· Il y a vraiment peu de chance que ce soit autre chose. Je suis en retard depuis deux mois, c’est beaucoup trop pour moi, d’habitude je ne dépasse pas deux jours.
Jacques s’est repris, évalue l’annonce.
· Si tu es sûre, tu m’en vois heureux et comblé.
Eulalie n’en attendait pas tant, tremblante de peur de faire cette annonce à Jacques, sachant leurs pères contre cette liaison, l’ayant bien fait comprendre depuis longtemps.
· Te rends-tu bien compte de la situation Jacques ?
· Bien sûr ma chère Eulalie, je vais être père grâce à toi, c’est magnifique !
· Oui … Mais tes parents ?
· Je m’en charge … Ne te fais pas de bile … Contente toi seulement de me terminer un beau bébé … As-tu appris la nouvelle à quelqu’un ici ?
· Oui, à ma mère. Elle n’a rien trop dit, ni en mal ni en bien. Elle a seulement bougonnée : gare à ton père.
· Pour le moment ne lui dit plus rien … Je vais en parler chez moi en commençant par ma mère, nous verrons les réactions. … Je dois partir, j’ai beaucoup à faire.
Il l’embrasse sur les deux joues, finit par un grand baiser, bien rendu par Eulalie.
La maman, devant son bassin, surveille un peu les réactions. Elle voit Jacques sortir de la laiterie, un grand sourire aux lèvres. Ouf ! … Se dit-elle, tout en pensant : je n’en attendais pas moins de la part de Jacques.
Jacques comme transformé par la nouvelle, se sent des ailes ; pousse son cheval au grand galop sur les chemins sableux, criant de temps en temps, je vais être père.
Puis son travail l’absorbe complètement, lui laissant seulement, quand en selle il se rend d’une ferme à l’autre. Temps assez court, qu’il utilise à une réflexion en pointillés, de son gros problème. Ces bouts de temps lui laissent tout de même le temps de monter une stratégie ; termine sa tournée journalière, rentre à la maison. Cherche sa mère, qu’il trouve à la cuisine avec Josette en train de faire des confitures de groseilles.
· Mère pouvez-vous venir, j’ai à vous entretenir d’une chose importante ?
· J’arrive ! … Un petit moment, le temps de voir si la gelée est à point.
Le vouvoiement de Jacques la laisse un peu perplexe, faisant installer un doute.
Jacques se dirige au bureau voir si son père est là. … Personne, la pièce est vide. Il attend sa mère sur le pas de la porte double.
· Me voici Jacques ! Mais qu’est-ce que veut dire cette solennité ?
· Où est père ?
· Je ne sais pas … Il est parti tout à l’heure à cheval sans rien dire.
· Bon alors assieds-toi.
· Ho ! La, là … mais qu’est-ce ?
· Je viens de voir Eulalie …
Sa mère le coupe :
· Ne va pas plus loin j’ai compris … Eulalie est enceinte.
· Oui mère … c’est ça.
· Je le sentais depuis que je vous ai vu entrer dans ta chambre avec Eulalie, le jour du mariage de ta sœur, j’ai vaguement entendu, et surtout compris ce qui s’y passait … Et alors, n’est-ce pas une bonne nouvelle pour toi ?
· Si mère, mais qu’en pensez-vous ?
· Je pense, si tu te souviens, je t’avais dit ici même : être certaine que la situation trouverait sa solution d’elle même et bien nous y sommes.
· Tu me soulages, (il reprend le tutoiement sans s’en rendre compte), mais quel va être la réaction de mon père ?
· Alors là, c’est autre chose, je ne sais vraiment pas. … Mais laisse moi lui apprendre la nouvelle moi-même ; dans un premier temps je « tâterai » le terrain.
· Si tu crois. … Mais c’est pourtant à moi de le lui dire ?
· Oui mais je connais bien ton père alors laisse moi faire.
Jacques s’en remet à sa mère, priant tous les Saints, pour que tout se passe bien. Il est aux remises et aux greniers, quand il voit son père revenir, laissant son cheval à Gus se trouvant là ; entre à la maison.
Au travers de la fenêtre entrebâillée du bureau, il voit son père s’asseoir à sa table de travail. Quelques secondes après sa mère vient devant lui. Jacques ne peut entendre ce qui se dit, mais voit bien son père faire des gestes inhabituels, sa mère ne bougeant pas, mais il voit qu’elle parle beaucoup.
Qu’est-ce qui se passe ? … Que disent-ils ? … Pense Jacques.
Sa mère sort du bureau. Jacques pense qu’elle a une réponse ou l’avis de son père, il descend du grenier, entre à la maison par une des portes-fenêtres de la grande pièce, pensant que sa mère est là. Elle n’y est pas. Il ressort, pense qu’elle est peut-être de nouveau avec Josette et ses confitures. Va à la cuisine. Sa mère l’apercevant lui dit :
· J’arrive Jacques.
Elle sort, prend Jacques par le bras le conduisant sous les marronniers de la cour-jardin.
· Ici nous serons tranquille pour parler, le personnel n’a pas à écouter. Voilà ce que pense ton père et ce qu’il m’a dit : Pour lui, il vous avait bien prévenu de sa position, étant aussi celle de Germain, qu’il n’y reviendra pas. Il ne veut pas entendre parler mariage avec Eulalie, disant aussi que cet enfant n’est peut-être pas le tien … Ce que je lui est formellement interdit de penser, sachant très bien qu’Eulalie n’a pas eu autres relations que les tiennes. Il veut bien l’admettre, mais ne veut, ni en faire son sujet, ni son affaire. … C’est cela qui m’embête bien, il reste sur sa position disant que c’est à toi, puisque majeur, d’en assurer les conséquences de toutes natures. … Le « toutes natures » m’inquiète. … Le connaissant, cela veut dire qu’il peut céder ton droit d’aînesse à ton frère Jean, et annuler le tien. Tu vois les conséquences pour ton futur, toi menant avec ton père cette grande propriété qui doit te revenir.
· Jacques n’a pas dit mot pendant l’exposé très clair de sa mère. Ils font deux ou trois pas en silence, Jacques le rompt le premier :
· Puisqu’il en est ainsi, je vais aller lui dire, que rien ne me fera laisser Eulalie et mon enfant, même pas les plus beaux côtés matériels de notre existence ; moi non plus je ne changerai pas d’idée. … C’est moi le responsable, j’assumerai.
Il quitte sa mère, se dirige droit au bureau où est son père. Frappe et entre furieux.
Le voyant il se maîtrise, disant tout de go à son père :
· Mère vient de me faire part de votre façon de voir les choses. C’est votre droit, je le respecterai. Mais c’est aussi le mien de penser le contraire, je vous demande de le respecter également. … Nous ne sommes plus des enfants, les règles ont des limites que le cœur ne peut et ne doit pas atteindre. … Dans cet objectif, je tiens à vous dire que je garderai cet enfant, je l’élèverai quoique vous puissiez faire ou penser.
Pierre est surpris par la fermeté de son fils, mais dans le fond de son âme il en est fier. C’est quand même lui qui l’a éduqué, avec le respect des choses de la vie.
Il continue :
· J’ajoute que pour le moment, cela ne changera rien dans mon travail, sauf si vous y voyez une objection, je serai le premier à la respecter.
· Ne dis donc pas de bêtises, je pense bien que tu resteras là, mais je ne changerai pas d’idée pour Eulalie.
· C’est bien, dit Jacques, je vais donc gouverner ma vie dans ce sens.
Ce furent les derniers mots échangés entre le père et le fils sur le sujet.
Aux « Grands plans », Germain un peu moins ferme, n’en bouda pas moins sa fille pendant des jours et des jours.
Heureusement les mères sont là pour réconforter quand elles en sentent le besoin.
Envers et contre tout, le temps passe. Eulalie s’arrondit de plus en plus. Les visites de Jacques pour la voir et l’aider, sont presque journalières.
Les récoltes s’engrangent ou se rentrent dans les greniers. Un violent orage de pluie et de grêle a compromis les vendanges à venir et détruit toute une parcelle de dix stéraies de blé. C’est une perte importante. Mais c’est aussi le métier, il faut compter avec et en tenir compte dans les prévisions, l’imprévisible des intempéries doit faire partie de cet ingrat métier.
Dans le même temps que sont devenu Anne et Renaud ?
Anne ayant un peu puisé dans la cassette de sa dot, a fait refaire et meubler une partie de la maison des Gilot.
Les ateliers un peu agrandis, car les affaires augmentent, surtout depuis leur mariage ayant fait écho auprès de ceux voulant suivre la mode. De nombreux contacts sont arrivés depuis la Provence, la Savoie et l’Auvergne. Les commandes affluent, l’atelier n’arrive plus à produire suffisamment.
Renaud et son père étudient une nouvelle façon de développer leur travail en construisant un grand atelier de couture, mais surtout d’affinage des peaux, utilisant la force motrice de la rivière, tournant frotteurs et autres machines, gagnant un temps précieux. Ils construisirent aussi de grands bassins pour la mise en teinture des peaux. Là encore la dot d’Anne finance les travaux, mais cela fait partie des prévisions.
L’hiver défile lentement, on a fêté Noël comme il se doit, sauf que Jacques n’est pas chez lui pour la première fois. Il passe Noël avec Eulalie, chez elle.
Magdelaine et Pierre se sont senti un peu seuls. Deux de leurs trois enfants ne sont pas là. C’est la première fois, c’est dur pour Magdelaine.
Elle essaye bien de faire revoir la position de Pierre, mais rien à faire pour le moment. Quant à Jean, il continue ses études. Eugénie l’a invité une fois pendant l’été à une fête donnée au manoir.
Anne n’est pas venue avec Renaud, Oscar est couché, il a pris froid pendant les travaux au bord de la rivière. Son âge n’arrange rien, il inquiète Thérèse. Les enfants ont donc décidé de rester avec elle et de câliner Oscar pour ce Noël.
Le dimanche, par contre, les retrouvailles se font sur la placette de l’église. Le curé Caillat fait semblant de ne pas voir les rondeurs d’Eulalie, car ce n’est un secret pour personne. Bien au contraire, les paysans, les employés, même les Saint Jay pensent que Pierre doit revoir sa position. Mais personne ne dit rien, c’est personnel et les campagnes sont muettes.
Le changement d’année 1352 amène un printemps, devant faire éclore le plus beau des boutons, en fruit de tendresse et d’amour, l’enfant de Jacques et d’Eulalie. Il est attendu pour mars, autour du dix. Eulalie heureuse de voir Jacques assurer sa paternité, le sentant aux petits soins pour elle, ne peut qu’un peu redouter le jour de cette naissance.
Comment Pierre va prendre l’événement ? … Cette question la tourmente et gâche une partie du plus beau geste qu’une femme peut faire, créer un petit être, bougeant, criant, remuant, résultat de l’amour fou qu’elle partage avec Jacques.
Le neuf au matin, vers cinq heures, alors qu’elle se lève pour essayer d’aider sa mère, elle ressent la première douleur.
Elle rejoint sa mère, qui devine ce qu’il en est. Appelle son fils :
· Oui maman que veux-tu ?
· Viens immédiatement, tu dois aller avertir Jacques, ta sœur entre en couche.
· J’arrive !
Il pose son trident contre le mur, « débaroule » par l’échelle de meunier, crie à son père à l’écurie :
· Je vais chercher Jacques !
Court vers les percherons, enfile un licou au premier, le tire dehors, saute sur son dos à même le poil, par la bride du licou le dirige au grand trot en direction du mas des Troya.
Passe le portail quand Henri sort du hangar.
Surpris de voir Bertrand, caracolant sur le dos de cette énorme bête, il s’approche prend le licou pour immobiliser le cheval, en posant la question :
· Qu’est-ce qui arrive ?
· C’est Eulalie elle va accoucher aujourd’hui !
· Bien … Dans ce cas je vais appeler Jacques tout de suite … Retourne là-bas, je fais le nécessaire.
· Je compte sur toi !
Faisant tourner le cheval, il trotte vers les « Grands plans ».
Henri appelle Jacques depuis la cour, sous la fenêtre de sa chambre. Jacques ne couche jamais aux « Grands plans » question de maintient et de respect pour les Germain, surtout pour Eulalie, qu’il traite avec respect.
Jacques apparaît dans le cadre de la fenêtre, se doutant du pourquoi de ce réveil inaccoutumé.
· C’est Eulalie ? demanda-t-il en tenant encore un volet de la main.
· Oui, Bertrand vient de venir vous chercher.
· J’arrive … Selle mon cheval pendant que je m’habille.
Ce remue-ménage n’est pas passé inaperçu du reste de la maison. Surtout à son père, toujours comme d’habitude, le premier levé.
Magdelaine ayant entendu le bruit des gros sabots du percheron a été tirée de son sommeil, mais aussi sachant la naissance sous peu, elle fait vite le rapprochement.
Elle entend Jacques bouger dans sa chambre, descend du lit en effilant sa robe de chambre, sort dans le couloir.
Jacques arrive en même temps.
· Jacques ? … C’est Eulalie ?
· Oui mère.
· Alors … si tu as besoin de quoi que ce soit, envoie-moi chercher, dès que tu le souhaites par Bertrand ou Germain, je ferais ce qu’il faudra.
· Entendu mère, mais je me presse. Je vous tiens au courant.
Henri a sellé le cheval de Jacques, le tenant dans la cour. Jacques enfourche la selle, donne du talon, met le cheval au galop dès les premiers mètres.
Henri lui crie :
· Je suis là si besoin !
Jacques vient de tourner le portail. Son père n’a pas bougé, quoiqu’ayant bien tout compris de ce qu’il était en train de se passer. En lui, il pense seulement : pourvu que tout se passe bien.
Jacques galope bride abattue sur la route de St.Vérand. C’est là que loge la sage femme s’occupant des naissances du voisinage. En arrivant, saute du cheval à peine immobilisé. Passe la bride au barreau de la grille, frappe du heurtoir la porte de chêne.
· Qui est là ? dit une voix.
· Jacques des Troya je viens …
Aussitôt la porte s’ouvre.
· C’est Eulalie ?
· Oui … Mais je ne l’ai pas encore vue.
· Depuis quand ses premières douleurs ?
· Vers cinq heures a dit Bertrand.
· Bon alors rien ne presse … Allez auprès d’elle … dites à Elisabeth, que j’arrive, qu’elle mette de l’eau à bouillir si ce n’est déjà fait.
Dès arrivé, il escalade l’escalier, embrasse Eulalie en lui disant :
· Maria va s’occuper de toi, elle vient de suite.
Il l’allonge sur le lit que sa mère a recouvert de deux draps de lin pliés l’un sur l’autre. Avec pour le dos, un gros coussin bourré de capok et de crins.
Maria dès arrivée, entre dans la chambre, tout en regardant Eulalie, répond aux bonjours de chacun, juge de sa forme, n’en fit aucun commentaire, en s’adressant cette fois plus particulièrement à Jacques :
· Laissez-nous s’il vous plaît, dites à Elisabeth qu’elle me rejoigne.
Jacques sort et transmet.
Alors qu’il est assis en bas, il entend un bruit de roues sur les pavés. Il s’approche de la fenêtre, voit qu’Henri a amené sa mère ne voulant pas laisser son fils seul. Elle entre à son tour :
· Comment cela se présente ?
· Je ne sais pas trop, je pense bien.
Au bout d’une bonne heure, un cri de bébé perce le silence.
Jacques a un frisson dans le dos, mon bébé pense-t-il.
Magdelaine redescend, Jacques pose la question :
· Garçon ou fille ?
· Tu le demanderas à Eulalie.
Il entre dans la chambre où Maria est en train de laver le petit bébé dans la bassine d’eau chaude.
Elisabeth prépare des langes sur une petite table à côté du lit.
· Comment te sens-tu Eulalie ?
· Bien je crois, mais je ne sais pas trop.
· Est-ce un garçon ou une fille ?
· Venez voir dit Maria, en lui exhibant le bébé tout nu et propre, continuant de crier.
Jacques s’approche :
· C’est un garçon ! … C’est un garçon !
Devant tant de joie Eulalie ne peut contenir une petite larme de bonheur. Les mères respectives n’en sont pas loin non plus.
· Trouvons lui un prénom dit Maria.
Elle pose le bébé aux seins de sa mère toute tremblante, sentant sur sa poitrine ce petit être fragile, chercher du nez et de la bouche le bout nourricier.
· Nous avons plusieurs choix, nous déciderons ensemble avec Eulalie, puisque nous savons maintenant que c’est un garçon.
Maria range ses instruments, regarde Eulalie une dernière fois, constate que tout va pour le mieux.
· Restez quelques jours tranquillement allongée et tout ira bien … Tenez-moi au courant je suis là pour ça.
· Merci Maria, nous le ferons.
Magdelaine a prévenu Henri de revenir la chercher vers midi. Elle laisse le couple en tête à tête, descend avec Elisabeth bien soulagée.
Eulalie prend la main de Jacques de sa main gauche, de la droite enserre la tête du bébé disant simplement :
· Voici les deux hommes de ma vie.
Jacques l’embrasse tendrement sur le front, comme un sincère remerciement.
· Comment va-t-on le prénommer ?
· Que penses-tu de Jacques-Pierre ?
· C’est vrai … Le veux-tu vraiment Eulalie ?
· Oui c’est ce que je veux.
· Tu me donnes le plus grand des bonheurs avec une preuve s’il le fallait encore, de ton infinie délicatesse et de ton grand amour.
Henri est arrivé pour ramener Magdelaine. Jacques ouvre la fenêtre de la chambre donnant sur la cour disant à sa mère, juste avant qu’elle monte en charrette :
· Il se prénommera Jacques-Pierre !
Sa mère ne peut rien dire, ses mots se nouent dans sa gorge. Elle peut juste lui envoyer de la main des baisers.
Elle entre au mas, Pierre est sorti de son bureau, s’approche de Magdelaine lui demande des nouvelles.
· Tout va bien … les trois se portent à merveille, son prénom est Jacques-Pierre … te rends-tu compte du geste que t’ont fait tes enfants ?
Pierre ne répond pas, mais on voit qu’il est ébranlé à l’intérieur de lui-même. Il tourne les talons, repart vers son bureau, comme pour trouver une échappatoire.
· Je retourne aux « Grands plans » cet après midi. Viendras-tu avec moi ?
Pierre tourne la tête :
· Je vais y réfléchir.
Un bon moment après, Josette avertit Pierre du repas près à servir dès qu’il le voudra.
· C’est bien Josette, vous pouvez servir, je passe à table.
Pierre passe la porte double. Son air est grave, mais difficilement définissable. Il s’assied à table, Magdelaine le scrute des yeux sans poser de nouvelles questions. Seuls ses yeux sont interrogatifs.
N’y tenant plus, pour mettre fin à ces questions silencieuses :
· Oui, tu as gagné, je monterai avec toi tout à l’heure.
· Non Pierre, ce n’est pas moi qui gagne, c’est ta sagesse.
Le repas se termine plutôt silencieusement, Jean demandant seulement quand il pourra voir son neveu.
· Je ne sais pas dit sa mère.
Au mot de neveu, Pierre a marqué un temps d’arrêt. Neveu, petit fils, oui ; mais comment, pense-t-il ? … Cet enfant est un cas à part, beaucoup par ma faute.
Sur cette constatation, il va s’asseoir sur son fauteuil vers la cheminée, en cette saison pas allumée. Le soir seulement et encore. Puis se relève ; on voit bien qu’il repense, voir ressasse, ce qui vient de se montrer devant lui, le roc, l’inébranlable, vient de faire un constat.
Il hésite encore, puis se reprend. Va vers le grand buffet-armoire, en sort une bouteille de vieux marc, s’en sert un petit verre. Se rassoie de nouveau, sirote son marc en cherchant une solution. Mais sur quoi ?
D’un coup il se lève. Si brusquement que Magdelaine est surprise, elle le regarde attentivement. Elle sent ce qui se passe dans le cœur et la tête de son mari. Il sort sur la terrasse, côté sud, donne un coup d’œil au cadrant solaire sur la façade. Revient sur ses pas.
· Magdelaine, si tu veux nous partons de suite pour les « Grands plans ».
· Oui, oui. … Ce n’est pas le moment de discuter pense-t-elle.
Il sort, cherche Henri pour lui dire de préparer la calèche.
Henri s’exécute sans commentaire, il a vu l’œil des grands jours.
Dans le silence le plus complet le couple rejoint les « Grands plans ».
Pierre saute à terre, fait le tour pour aider Magdelaine à descendre.
Elisabeth est sortie sur la porte, Jacques attiré par le bruit regarde par la fenêtre.
· C’est mon père et ma mère, ils viennent d’arriver Eulalie … Voilà qui est inattendu.
Eulalie reste muette, autant surprise, voire plus que Jacques.
· Où est ce nouveau né Elisabeth ?
· À la chambre, en haut avec Eulalie et Jacques.
· Excusez-moi, bonjour d’abord.
· Bonjour à vous deux … Suivez-moi je vous montre le chemin, quoique vous le connaissez depuis longtemps.
Pierre suit Elisabeth, s’effaçant au pied de l’escalier en lui disant :
· Première porte à gauche.
Magdelaine suit Pierre grimpant l’escalier deux par deux, frappe à la porte de gauche.
· Entrez dit Jacques, ouvrant la porte en même temps.
Pierre sans rien dire, porte une accolade à son fils, sa mère l’embrasse. Du même temps Pierre s’avance vers le berceau dans lequel dort son petit fils, puis se retourne.
· Félicitations Eulalie vous nous avez donné un beau bébé … Comment allez-vous ?
· Au mieux je pense, et vous ?
· Bien, merci. … Je suis venu pour régler un différent, si je puis dire … Je veux que vous sachiez … il hésite, …mes restrictions mises pour que vous entriez dans la famille sont for-clauses … Jacques … je vais mettre tout en œuvre pour effacer et réparer les complications causées par mon attitude … Acceptez tous les deux mes excuses et mes remords.
Jacques a la tête prête à exploser, tant sa joie qu’il laisse intérieure est grande.
· Montre-moi ton fils Jacques.
Mais il dort dit Magdelaine, il ne faut pas le déranger.
· Si Magdelaine, prenez le, c’est l’heure de sa tétée.
Magdelaine, n’attendant que cela, s’approche du berceau en noyer faisant balançoire pour le bercer, le prend délicatement en mère qu’elle est, lui murmurant des petits mots doux.
Pierre s’approche ; de son index il grattouille doucement le menton du nouveau né, faisant des grimaces pour se réveiller, avec des bulles au coin de la bouche. Une petite risette semble répondre à ces petits chatouillis. Magdelaine tend l’enfant à Pierre, le prenant gauchement, mais avec délicatesse, l’allonge sur son bras continuant de lui murmurer :
· Voyez, voyez, comme il est beau ce petit, allez, réveilles-toi, c’est l’heure de manger.
Il se retourne pour rendre l’enfant à Magdelaine, mais surtout pour dissimuler à Jacques et Eulalie, la larme arrivée aux bords de ses yeux, qu’il sèche d’un coup de revers de manche.
Elisabeth est venue sans faire de bruit rejoindre la chambre. Elle a eu le temps de voir le geste de Pierre. Elle pense maintenant la cellule familiale recréée dans son intégralité.
Pendant la tétée, les parents de Jacques et la mère d’Eulalie sont restés. La grand-mère Magdelaine, eut l’honneur de lui faire faire son rot. Jacques et son père retrouvent leurs marques d’avant le mariage d’Anne.
Magdelaine rappelle à Pierre qu’il faut laisser Eulalie se reposer et le petit dormir au calme, qu’il est mieux de partir.
· Au revoir Eulalie, encore nos félicitations.
· À ce soir Jacques quand tu voudras.
· À bientôt tous les trois, nous partons.
Pendant tout ce temps, Germain est resté dans sa ferme, prenant, entre autre, soin de Bijou qu’il ramène dès qu’il voit Pierre au pas de la porte. Ce bon Germain, qui lui, n’a pas le temps de profiter de son petit fils, la ferme ayant toujours le dessus.
Mais il sait que ce soir il sera pour lui, autant qu’il le pourra.