La saga des troya - Saison 3 - Chapitre 14
Depuis le 25 avril 1366, naissance de la fille de Jacques et d’Eulalie, puis la grande fête donnée pour son baptême, la crémaillère et Noël, ce fut comme une pose dans le domaine des fêtes. Exception faite de la naissance de Maria, le 15/10/1358, au manoir de Quinsivet où Jean loge depuis son mariage.
Au même endroit Antoine de Saint Jay décède le 25 septembre 1362.
Seul le baptême de la fille de Jean et d’Eugénie, a lieu au manoir. Faisant suite à cette période trouble ; ce n’est pas une date mémorable. Elle a quand même le mérite d’exister avec la petite fille Maria bien présente. Eugénie est très heureuse avec la venue de sa fille. Pendant les années suivantes, les deux frères Jean, ont continué leurs études à Valence où ils ont brillamment réussis leurs examens, le plus jeune ayant rattrapé son frère aîné.
Arrive une période d’accroissements des échanges commerciaux.
Les situations qu’elle crée, ne sont pas pour satisfaire tout le monde.
Surtout la noblesse, voyant compromettre la domination qu’elle a eu tant de mal à mettre en place. Pour ces nobles, la forme de société nouvellement créée et mise en place par les bourgeois commerçants, devient une menace sur leurs prérogatives. C’est du moins ce qu’ils pensent.
Heureusement les quelques esprits clairvoyants conduisant les affaires du Royaume, vont remettre les choses en place.
Voyant ce qui se passe comme inévitable, ils sentent devoir compter sur une nouvelle classe détenant la plus grande partie des fonds nationaux, si ce n’est aussi les terres. Lucides ils composent avec eux. L’histoire va nous montrer que les grands, jusqu’au roi lui-même, emprunteront à cette nouvelle classe sociale.
Les années ont passées nous approchons le 15 ième siècle et la dernière des filles de Jean et d’Eugénie atteint ses vingt cinq ans. C’est l’âge plus que raisonnable pour une fille, de penser au mariage.
Lors d’une fête donnée chez le comte d’Aberjon, Clémentine rencontre un peu par hasard Albert-Jean d’Aberjon, fils de Jean d’Aberjon de Murinais.
Le coup de foudre est immédiat, et quoique la différence d’origine doive se faire sentir, les noms des Troya et de Saint Jay vont réduire cette distance à plus que l’acceptable. Ce couple marié une année plus tard va connaître une vie de château auprès du comte d’Aberjon de Murinais le beau-père de Clémentine.
Assez longtemps après, ce couple ouvre la voie à un autre mariage, ayant eu des enfants assez tardivement. Une de leur fille Marcelline, qui elle succombera aux charmes plus que réels d’un homme moins titré qu’eux, grand sentimental, artiste peintre et sculpteur, cherchant l’approche des gens riches qu’il voudrait voir devenir la base de sa clientèle, mais aussi attiré par la noblesse, il arrivera à se faire anoblir le 2 novembre 1496 sous le nom de Falcoz de Fassion et emmènera la descendance de cette branche sur une route pas ordinaire. Nous verrons le moment venu de conter cette vie particulière et mouvementée.
Revenons aux parents Jean des Troya et Eugénie de Saint Jay.
Jean et Eugénie, vont acquérir cette expérience sur le tas, pendant que leurs deux fils se forment sur les bancs de l’école spécialisée où ils vont rencontrer et lier d’amitié avec les fils de deux familles des alentours de Grenoble : les Guyonnet de Size et les Muzelier de Berthon. Deux familles ayant des intérêts communs, puisqu’ils sont dans la production de la chaux et de ses dérivés.
Les deux Jean, vont se rencontrer à l’occasion de réceptions données chez les parents des deux jeunes filles, dont les foyers, comme chez les Troya s’axent sur le futur.
Jean-Louis est attiré par Jeanne Guyonnet de Size, alors que Pierre-Jean est attiré par Noémie Muzelier de Berthon. Les deux jeunes filles le leur rendent bien et sont très amoureuses de ces frères hors du commun.
Ils se fréquentent depuis les quatre dernières années de leurs études Valentinoise, ne manquant jamais l’occasion d’être ensemble tous les quatre.
Lors d’une réception particulièrement réussie, chez le comte et la comtesse de la Boussignière à Voreppe, ce fut l’éblouissement final.
Les deux amies ont décidé de faire aux deux frères une surprise pas comme les autres. S’habiller strictement de la même façon, comme si elles étaient jumelles.
Le rendez-vous est donné chez la comtesse, dans le cadre souhaité.
Les deux jeunes filles amenées par leurs parents respectifs ne sachant rien de cette mise en scène, sont déposées séparément.
Les deux frères se sont fait amener depuis le manoir, par le cochet avec le coupé de Jean le père. Le cochet va les attendre.
Le château de la Boussignière fait partie de ces constructions très anciennes, ayant cependant suivie la « mode » si l’on peut dire, en même temps que les jardins se sont façonnés avec les siècles, devenant de ce fait très beaux. Une longue allée de peupliers d’Italie centenaires, débouche au centre des fenêtres du rez-de-chaussée.
Dans la grande entrée donnant de part et d’autre sur d’immenses salons, les deux jeunes filles surveillent l’arrivée des garçons. L’une du côté gauche, l’autre du côté droit, juste derrière le battant fixe de la grande porte, surmontée d’une cantonnière d’où tombe deux lourds rideaux de velours, ambre foncé, retenus tirés vers le bord de la fenêtre par une embrasse large et pomponnée. Les rideaux forment écran sur le haut du buste et la tête, dissimulant bien les filles.
Nos deux garçons sont déposés devant la porte, au pied des marches.
La mode a bien changé depuis le fameux mariage d’Anne. Surtout pour les femmes. Les hommes sont toujours habillés d’une houppelande un peu plus longue, jusqu’au sol. La cape a disparu, les manches sont très ouvertes, pendantes depuis le coude, avec une bordure de tissu plus clair. Le col aussi a changé. Il est fait de deux rouleaux de tissu boudiné en bourrelets, le couvre chef est un chaperon à casquette, d’où tombe sur le côté un drapé fait du tissu de même couleur. Nos deux Jean sont habillés de cette façon. L’un en brun châtaigne, l’autre en violet foncé prune. Les chaperons de couleur fraise et groseille.
Ils sont très beaux ces jeunes et ils le savent.
Ils grimpent les marches jusqu’à l’entrée. Un serviteur sur le perron les reçoit et les prie d’entrer.
Dès le premier pas vers l’intérieur, Noémie et Jeanne, jaillissent de derrière leur rideau où les deux Jean ne les ont pas remarquées.
Elles se plantent devant eux, leur barrant le passage.
Moment de surprise, puis éblouissement et étonnement.
Jeanne et Noémie sont magnifiques, un surcot lilas, bordé de velours carmin, lui même bordé du col à la basque, d’une bande d’hermine pointée de tirets noirs, faits des poils de la queue de l’animal.
Le col d’hermine forme un large décolleté et est relié par un jabot d’hermine s’achevant en gland sous la poitrine des jeunes femmes.
Autour de leur cou, un collier en pierreries fines, de rubis et d’aigues-marines, décore le haut de leurs épaules nues, rejoignant la gorge.
Leurs cheveux cachés sous une coiffure à cornes, dont le fond et la mentonnière sont en moiré blanc, tiennent en place la coiffure arrondie, de ton crème, au centre de laquelle une broche de rubis, en forme de croix à bras égaux et ansés, domine le front.
Nos deux garçons sont médusés sur place :
· Comment ? … Vous ? … Vêtues comme des reines ?
· Oui ! … On ne vous plaît pas ? … Dit Jeanne d’un air malicieux.
· Bien sûr que si … Je pense qu’autant moi que mon frère, nous ne pouvons qu’être étourdis !
· Eh bien ! Messieurs … Qu’attendez-vous pour nous donner votre main ?
Les deux Jean tendent leur main fermée, sur laquelle se pose la main gauche des damoiselles. L’un derrière l’autre, les deux couples marchent vers le grand salon où leurs hôtes accueillent leurs invités.
· Mon dieu ! … Dit la comtesse en regardant les filles … Nous avons droit ce soir à Aglaé et Thalie ! … Qu’avez-vous fait de la troisième ?
· Nous ne savons madame … elle n’a pas voulu venir ! … Dit Noémie en riant de l’allusion toute en finesse de la comtesse.
· Bonsoir à tous les quatre. … Entrez plus avant et profitez de la soirée.
Le comte salut les deux couples leur disant :
· La comtesse a toujours raison … Mais j’ajouterais pour les messieurs, qu’ils sont très apolliniens !
Ils cherchent du regard où trouver leurs connaissances assez vîtes repérées. Les filles distinguent leurs parents, assis sur une spacieuse banquette, au salon voisin.
· Rejoignions les, ils ne nous ont pas encore vus ensemble.
· Bonsoir mère, bonsoir père dit Jeanne suivie par Noémie.
Le père de Jeanne tourne le buste et voit sa fille en double.
· Bon sang, je ne savais pas avoir des troubles de la vue ! … Tous les quatre, vous êtes bien fait, pour aller de paire !
· Vous ne croyez pas si bien dire père … Car c’est notre intention.
· Et vous Noémie, vous êtes aussi du même avis ?
· Tout à fait je le souhaite.
· Les garçons sont pris de court. Il est vrai qu’à cette époque les femmes ont presque les mêmes droits ; mais tout de même, ils sont surpris par tant d’aplomb.
Est-ce bien le lieu et le moment, pensent-ils.
· Oui messieurs, mon frère et moi voulions vous demander une entrevue officielle au plus tard sous quelques jours. Mais puisque la question est posée, quand pourrai-je passer chez vous.
· Qu’en pensez-vous Claire ? … (C’est la mère de Jeanne).
· La fin de semaine sera très bien.
· Bon … Alors disons après demain samedi chez nous.
· Entendu monsieur.
Pierre-Jean obligé de suivre, pose la même question à Claude, le père de Noémie. La réponse est la même au jour près.
Catherine, la mère, rajoute simplement quelle est heureuse de cette décision.
La soirée n’a rien à voir avec les veillées du mas foity, mais s’y amuse-t-on autant ? Personne ne le croit.
Le samedi après midi, les deux Jean vont faire leur demande en mariage chacun de leur côté. Elle est acceptée, puisque depuis longtemps supposée. Reste à organiser les mariages.
Comme ils se fréquentent depuis, presque quatre ans, les fiancés pensent pouvoir parler mariage tout de suite.
Par contre un problème demeure, à qui, où et quand, le premier mariage ?
Ce sont encore les deux filles qui proposent la solution.
· Marions nous ensemble le même jour, au même endroit. … Je suggère le 25 juillet. … Qu’en pensez-vous ?
Les familles regardent leur carnet. Rien de particulier au contraire c’est une période calme.
· Et bien puisque tout semble aller, disons d’accord pour le 25 juillet 1390.
L’église de La Buisse, quoique grande, ne l’est pas assez. Des invités restent sur le parvis. Le curé a ouvert les portes en grand, pour que ceux restés dehors, puissent suivre la cérémonie.
Au manoir des Muzelier de Berthon, tout est remarquablement organisé.
La fête donnée le soir, rappelle celle donnée au mariage d’Anne et se termine très tard. Les deux frères maintenant mariés, regagnent, l’un Voiron, l’autre St.Egrève.
Leur chambre nuptiale est mise à leur disposition, par des amis communs, connus à Valence pendant leurs études.
À partir de ces années, va commencer pour les deux frères et leurs épouses, une vie pas ordinaire, car chez les des Troya du foity rien n’est ordinaire. Nous le verrons.
Mais où est le reste de la fratrie ? …
Anne vit son veuvage au milieu de ses souvenirs. S’occupe de sa fille du mieux qu’elle peut. Elle lui parle de son père dont elle se souvient à peine. Elle ne pense pas pour le moment à autre chose que d’être avec sa mère ou ses proches, dont Eulalie et Odile font une partie quasiment constante de ses joies.
Jacques est toujours sur ses terres avec leurs problèmes et leurs satisfactions.
Son fils Jacques-Pierre a fini ses études pour succéder à son père se trouvant dans la même position que son père vingt cinq ans plus tôt. L’un a remplacé l’autre exactement.
Le mas Pierre des Troya n’est plus habité pour le moment, mais Jacques et Jacpy travaillent comme toujours au bureau du mas, mais pas à la maison des « Quatre chemins », dont le jardin est devenu superbe.
Les arbres sont adultes couvrant de leurs branches les espaces pour lesquels ils ont été plantés. Eulalie profite des bancs ombragés par les marronniers, dont le silence alentour, n’est troublé que par le clapotement de la cascade du bassin où se mêle le pépiement des oiseaux, venant boire l’eau de cette merveilleuse source. Jacques-Pierre quant à lui fréquente une jeune fille, Marie Fayard, dont le père est négociant à Varacieux. Il pense mariage nous en reparlerons.
Sa sœur douze ans plus jeune est encore le rayon de soleil d’Eulalie et de son père, elle se contente de mener la vie, que lui permet la situation des parents. C’est à dire, sans souci, devenant de plus en plus complice de sa mère, la sortant souvent dans les villes voisines, avec ses cousines Odile et Anne. Pour le moment elle n’a pas rencontré l’âme sœur. Mais la cherche-t-elle vraiment ?
C’est certainement chez Jean que la plus grande différence c’est faite ressentir.
Leurs deux fils Jean-Louis et Pierre-Jean, ont fait une école de commerce, créée à Valence par les frères Dominicains du diocèse. Une tournure nouvelle de voir les échanges, en essayant de les valoriser le plus possible, sur une échelle plus importante que l’artisanat.
Les deux frères n’ont qu’un an de différence, ils se sont en permanence suivis sur le même chemin. Ils souhaitent continuer et tracent déjà avec leur père et leur mère, le développement de la chamoiserie sur Romans et Grenoble.
La ganterie est en plein développement, de plus en plus les femmes et les hommes portent des gants pour toutes les occasions, chacune d’entre elle impose une paire de gant appropriée. Pour le cheval, les armes, la chasse, le soir, les sorties et bien d’autres. Renaud avait déjà bien réussi l’extension du sujet, par des créations utilisant toutes sortes de peaux, de la plus solide à la plus fine.
Jean s’est rendu compte avec ses fils, que la vente était bloquée ou du moins freinée par la distance de leur magasin avec les grandes villes en plein essor. Jean-Louis propose d’aller s’installer à Grenoble, où la main d’œuvre est nombreuse, la clientèle aussi.
Jean-Pierre, plus spécialisé dans le cuir plus robuste a étendu le secteur des poulaines, des chausses et bottes pour la chasse. Les poulaines ont conquis le marché par le confort qu’elles apportent, cela depuis les Gilot.
Pierre-Jean veut s’installer à Romans.
Le père et les deux fils, se mettent à la recherche de lieux propices à l’établissement des ateliers. À Romans vers la rue du Jaquemart tout récemment installé, l’étude de Me. Jourdan offre un bâtiment de grand artisanat.
Aller le voir et le visiter devient leur point de mire.
L’ensemble est un peu vétuste, surtout très sale. De la poussière noire de particules de charbon de bois recouvre la charpente. Pas de trace d’humidité sur le bas des murs, les tuiles ne laissent passer aucune gouttière.
· Qu’en pensez-vous les enfants ?
· Pour moi, je trouve l’affaire pas si mal, le terrain contigu permet un agrandissement éventuel.
· Faisons une offre à trente cinq mille livres, pour aller s’il le faut un peu plus haut ; si le propriétaire se montre trop gourmand, nous laissons venir … qu’en pensez-vous … d’accord ?
· Oui, je crois que l’on peut marcher comme cela.
Ils retournent à l’étude, font leur proposition, faisant bien remarquer au notaire qu’ils n’iront pas plus haut, les vendeurs ne doivent pas chercher à en profiter.
Le notaire en prend note et précise :
· Je vais me rendre chez monsieur Leroux, le seul à avoir refusé la première offre des premiers acquéreurs, les autres seront d’accord puisqu’ils l’étaient déjà. … Passez à l’étude dès ce soir.
À cinq heures trente après midi, les Troya sont chez maître Jourdan.
Comme promis le notaire s’est rendu chez Leroux proposer le montant de trente cinq mille livres. Le notaire, ayant besoin de faire quelques affaires, le pousse à accepter cette nouvelle proposition, lui faisant bien sentir, qu’elle ne se renouvellera peut être jamais. Après maints tiraillements et marchandages, auxquels le notaire est resté sourd, il a fini par accepter.
Comme prévu les Troya se rendent à l’étude.
· Entrez messieurs, prenez un siège.
· Quelles nouvelles pour notre affaire ?
· Monsieur Leroux, a accepté après beaucoup de palabres, votre proposition … Il est d’accord pour signer avec ses cousins.
· Alors, maître, dit Pierre-Jean, préparez nous un acte pour le plus tôt possible.
La signature eut lieu la semaine suivante, le notaire tenant à toucher ses honoraires, lui aussi, rapidement.
Restait à voir Grenoble.
La chose est bien plus difficile, car les lieux propices sont rares. Ils finissent par trouver dans le quartier St. Laurent, un ancien tissage de chanvre.
Mal placé pour ses matières premières, en plus tombées en désuétude, par rapport à des tissus plus beaux et plus confortables, le tissage dut fermer. Les ateliers sont grands, sur trois niveaux, mais cernés par les autres immeubles, ne permettant pas comme à Romans une éventuelle extension. Par contre le rez-de-chaussée permet sur un côté, d’ouvrir un coin de présentation et de vente des productions ; le local ayant été créé pour le dépôt des rouleaux de drap.
L’un dans l’autre l’équilibre est atteint. Plus cher à l’achat, mais moins de frais de mise à disposition.
Le notaire maître Philippe Couvrier, réalise la vente. Plus compliquée que celle de Romans, car pas mal de créanciers sont parties prenantes.
Enfin le tout est traité pour un montant de soixante cinq mille livres. Une très grosse somme, allant utiliser tous les avoirs de réserve des ateliers de Jean des Troya et Anne des Troya-Gilot.
Le notaire maître Rival de St.Marcellin traitant en rédacteur associé, assure le financement. Les dépôts de la famille étant nettement supérieurs à l’acquisition, la transaction a pu se faire sans problème. Quand même, il est clair que la trésorerie va devenir trop étriquée.
Jean est donc amené à demander à son frère Jacques, la soulte devant lui revenir sur les terres du domaine depuis le décès de leur père et de leur mère. Il est le seul à pouvoir demander quelque chose, puisqu’ Anne, a, par son contrat de mariage, sa part de succession réglée. Il faut donc trouver un tiers de la valeur ou céder un tiers des terres.
Jacques fait quand même remarquer à son frère, que son droit d’aînesse le met à l’abri d’une division du domaine. Qu’il est donc souhaitable de vendre ce qui est à lui, ou plutôt à sa femme, les terres ou le manoir de Quinsivet.
Le lien familial va encore jouer. Jean se rend compte de la remarque très juste de son frère, refusant la division des terres de leurs ancêtres, à laquelle il n’est pas forcé.
D’un autre côté sa femme, partie prenante des ateliers, est concernée directement. Le problème est à débattre entre lui et Eugénie.
Des souvenirs qu’elle a du manoir, ne sont pas pour elle les meilleurs de sa jeunesse, tant s’en faut. Elle accepte de mettre le manoir en vente, à condition que Jacques, apporte une somme égale de celle reçue par sa sœur, comme troisième versement de sa dot à prendre sur les dépôts des parents Pierre des Troya. Ces dépôts sont chez le notaire, sur un compte commun aux deux frères. Jean utilise dans ce cas, la part qui lui reste.
Jacques accepte la formule la considérant comme juste, mais en précisant qu’il demande expressément à Eugénie, de lui laisser les terres sans frais de fermage et de maintenir, quoi qu’il arrive son cousin des Troya doz, devenu des Troya quinsivet, tant qu’il y aura une succession mâle à la ferme.
Ce sont les accords mis, noir sur blanc par maître Rival. La vente du manoir est réalisée, mais l’acquéreur veut une partie des terres au sud-est du manoir. Jacques accepte. C’est le bout de l’ensemble.
Le montant de la vente est suffisamment coquet, pour assurer à peu près la moitié du montant, l’autre moitié étant la soulte de Jacques, assurant à Jean, Eugénie et leurs fils, l’argent pour mettre sur pied les deux projets. L’un de ganterie, l’autre de poulaines et de bottes. Il procure aussi les moyens nécessaires à l’acquisition des matériels, des deux ateliers et l’achat d’une grande maison sur la paroisse de Chatte où ils logeront dès le mois de novembre. Rapprochant de l’atelier de St.Marcellin, Jean et Eugénie.
Mais qui est donc cet acquéreur pouvant s’offrir une telle demeure ?
Le nouvel acquéreur, n’est autre qu’un nommé Falcoz, riche viticulteur d’un domaine du Beaujolais, qui veut essayer en se retirant, d’introduire la vigne dans sa nouvelle région. Le montant de la vente des vignes du Beaujolais et du clos y attenant avec une grande maison, vont lui permettre de supporter l’échec de ses idées, mais également d’entretenir sa famille dans d’excellentes conditions pendant le reste de sa vie, permettant à son petit-fils d’assurer au sien des études aux Beaux-arts de Lyon.
Ce fils va prendre des idées de noblesse, ayant à sa disposition fortune et manoir il demande d’acheter un titre. La réponse lui est favorable et sera anobli le deux novembre 1396, presque quatre générations après l’acquisition du manoir par son quadrisaïeul, sous le nom de Falcoz de Fassion ; Fassion étant le nom francisé de sa mère originaire du Piémont, ses parents Fassioni étant de grand éleveurs de chevaux de la haute vallée du Pau. L’argent n’y manquait pas non plus, cela expliquant ceci.
Cet homme très cultivé a hérité de l’emphase italienne rompant dans le quartier la réserve des habitants du cru.
C’est ce changement qui va attirer une presque voisine, en la personne d’Héloïse des Troya, qui connaîtra une vie mouvementée, faite de voyages en Italie, de fêtes, de bals costumés, de carnavals en tous genres, tout en assurant les bons usages à son mari.
Héloïse sans trop le savoir va renouer avec ses racines, puisque les Troya viennent également du Piémont. Les Falcoz nobles ou pas sont aujourd’hui encore très nombreux en Dauphiné.
Le temps qui a passé n’a rajeuni personne, mais reprenons la lignée principale.
Le damier est sorti, les pièces en place, la partie peut commencer en ce nouveau siècle de l’an 1400.
Ce quinzième siècle, débute avec la lutte intestine toujours tenace, des Valois et des Bourbon, la branche Capétienne résiste, maintenant le pouvoir, en acceptant par Philippe VI de Valois, l’union de Jeanne de Bourgogne, puis de Blanche de Navarre.
Charles VI le bien aimé, tient les rênes depuis 1380, il devra les lâcher au profit de la reine Isabeau. Conséquences terribles pour la France, se voyant envahie par les Anglais.
La politique se durcit à l’endroit des activités commerciales. Les trois Jean des Troya se retrouvent avec des conditions moins sûres. Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, (ne pas faire l’amalgame avec les marchands de nos campagnes), soulève Paris contre le Dauphin vivant une bonne partie de son temps en Dauphiné. Il a fait ériger un château fortifié.
Ce château Delphinal est construit sur les fondations d’une forteresse, formant la clef de cette partie de la vallée de l’Isère.
Face à St.Marcellin, le château se trouve sur la paroisse de Beauvoir en Royans, communiquant à la rive droite de l’Isère, par le bac du Destrait les Romans, aussi appelé le bac d’Iseron.
Cette situation particulière va être le conditionnement d’un grand virage de notre famille de chamoiseurs dans les années à venir.
Le 25 juillet 1390 est une date importante, par le mariage des deux frères : Jean-Louis avec Jeanne de Guyonnet de Size, Pierre-Jean avec Noémie Muzelier de Berthon.
Depuis ce jour, le père Jean et les deux fils, n’ont eu de cesse à s’améliorer dans leurs domaines.
À St. Marcellin, la branche des chamoiseurs, avec le couple Jean et Eugénie, continue de produire des vêtements, mais surtout de créer les modèles, qui seront fabriqués en plus grand nombre, suivant leur destination, soit aux ateliers de Grenoble pour les gants, soit à Romans pour les chaussures de tous genres, poulaines ou autres. Les vêtements utilisant la peau et le tissu, sont cousus à St.Marcelin.
Les quatre sites, dont celui de St.Vérand, très complémentaires, sont spécialisés comme souhaité et donnent d’excellents résultats. La machine maintenant bien rodée fonctionne à merveille. Les jeunes couples aussi ont procréés. Nous y reviendrons. Mais pendant que tout ronronne côté cuir, que ce passe-t-il côté terres ?
Aux « Quatre chemins », la maison est de plus en plus belle ; elle prend cette patine ajoutant aux choses la valeur des années.
Jacques est dans sa cinquante cinquième année, Eulalie dans sa cinquante deuxième. Mais les ans n’ont pas eu la dent dure avec eux ; ils sont restés jeunes d’allure et d’idées. Il est vrai qu’Hortense, comme petite dernière, les a peut-être « entretenus » avec ses quatorze ans,
Jacpy leur fils a eu le 9 mars 28 ans. Il a remplacé son père comme un double, Jacques ayant fait le double du rôle de Pierre son père. De même nous savons qu’il fréquente depuis trois ans, une jeune fille de Varacieux, se nommant Marie Fayard.
Le contrat de mariage établi par maître Rival troisième du nom, fait bien ressortir par les chiffres qu’annoncent la dot, l’exactitude de ce que Jacques et Eulalie savaient.
Le mariage, une très belle fête, eut lieu par un superbe temps du début de juin, sur le devant de la maison où s’étend une grande cour ombragée, le 12 juin 1380.
Pour tout le repas, Régis Fayard a fait décorer une partie du hangar, vide en cette période de l’année, trouvant ainsi la place nécessaire à loger la centaine d’invités ou membres des familles, comme convives de ces noces.
Parmi les invités : le Marquis, se trouve ici à deux titres, les amis de Jacques et de Jacpy, les de Boissieux, le Comte de Murinais et bien d’autres. Inutile de dire que tout est fait dans l’opulence.
Les « violoneux » et les « cornumuseux », ont entraînés toute la noce, dans des tourbillons de danses et de farandoles. On mange, on boit, on rit, on chante, comme pour un jour de cette qualité, où la gaieté est le seul mot à prendre comme exemple.
La journée du mariage terminée tôt le matin de cette nuit, les jeunes époux se sont rendus chez eux. Car ils ont un chez eux. Le mas des Troya, que Jacques a transmis à son fils et à sa bru, ils vont habiter la maison de Pierre et Magdelaine, leurs grands-parents aujourd’hui disparus. Le couple ayant réinstallé le mas et son jardin. Depuis ce jour, la maison ancestrale ou presque, c’est ranimée, les cheminées fument, la vie est de retour dans les murs.
Nous voici ensemble en 1400. Ce nouveau siècle a fait trembler beaucoup de monde, car les chiffres ronds concernant les années, réveillent des croyances idiotes d’une fin du monde probable. Tout le monde va la franchir comme beaucoup d’autres.
Pendant la décennie précédant 1380 nous assistions à la « décompression » des positions stratégiques de la France, par les victoires de du Guesclin sur les Anglais, rendant du terrain, offrant des villes au commerce intérieur. Ce n’est pas pour nuire à nos trois Jean, ayant toujours besoin d’une surface de vente plus étoffée.
Côté littérature, Dante fait parler de lui avec « La Divine Comédie », un triptyque sur la vie spirituelle du Moyen Age, laissant bien des traces et des craintes, dont en plus il n’y a pas besoin, mais qui pourtant va introduire dans les esprits de nombreuses faussetés.
Jean-Louis va le premier, par Jeanne sa femme, avoir un enfant de sexe masculin. Il voit le jour le 14 septembre 1394, avec les prénoms de Charles Jean Bertrand. Puis une fille Jeanne-Claire le 23 août 1396 ; puis un autre garçon le 17 décembre1398 prénommé en souvenir du fondateur, Renaud Claude Pierre.
Pierre-Louis et Noémie ont un garçon prénommé Louis André Sébastien le 16 mars 1397 à Romans. Pierre-Louis son père, a fait construire une grande demeure où il peut recevoir et se faire connaître. Un terrain qu’il avait vu avec son père et son frère à l’achat de la chaudronnerie.
Jean-Louis, est logé avec sa femme Jeanne, dans une aile de la maison des Guyonnet de Size, aménagée pour la circonstance. À mesure que la famille grandit, ils gagnent sur les pièces des parents, voyant d’autant se réduire leur logement. Mais Claire et Bertrand sont comblés de regarder gambader dans le parc de Meylan, leurs trois petits enfants.
Sur ces données, la vie va s’installer. Les parents géreront leurs affaires, les enfants iront faire leurs études. Rien de plus naturel.
Renaud le plus jeune et troisième enfant de Jean-Louis, gantier au quartier St.Laurent, va, par le fait même de sa situation, devoir trouver une direction autre que celle qu’il vit pour le moment.
Le hasard suscitera sa destinée.