La saga des troya - Saison 4 - Chapitre 15
La fondation des branches
Nous sommes en 1441, Charles VII est au pouvoir avec la reine Marie d’Anjou. Leur fils, le futur Louis XI prend part au mouvement de la Praguerie dirigée contre son père Charles VII, en 1440. Pour éloigner de Paris ce fils turbulent, Charles VII lui confie le gouvernement du Dauphiné dès 1441, obtenant ainsi une réconciliation d’une finesse toute diplomatique, finesse que Louis XI ne cessera d’appliquer pour pratiquement tout.
Pendant vingt ans le Dauphin, puisque tel est son titre, va vivre en Dauphiné. À cette époque, il est séduit par la région du Royans et de l’Isère. Il fait donc modifier sur des fondations féodales, un château fortifié, appelé : le château Delphinal de Beauvoir de Cherennes en Royans. Pouvant rejoindre St.Marcellin par le Destrait les Romans, en traversant l’Isère par un bac, puis le chemin du Perron et St.Sauveur, une facilité qui amènera le Dauphin à venir souvent à St.Marcellin. Nous en reparlerons.
Nous venons de franchir cette période très trouble, de la guerre avec les Anglais, ne trouvant pas de fin, de Jeanne d’Arc venant d’être suppliciée, du déclenchement d’une guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui va durer jusqu’en 1435, le grand schisme d’occident avec l’élection du Pape Martin V.
La France traverse une période perturbée et instable n’étant pas sans influence sur la destinée de Renaud fils.
Un peu avant l’arrivée du Dauphin à Beauvoir, Renaud est poussé par son père à aller occuper les maisons de son grand-père Jean, à St.Marcellin et St.Vérand. Il pense le caser pour apprendre et connaître ce qui est fait à St.Marcellin. C’est à dire la conception et la recherche de nouveautés vestimentaires.
Les ateliers de Grenoble ne sont pas suffisants, la conjoncture, n’a pas généré des revenus pour entretenir deux ménages et leur fille. D’autant plus qu’au décès de Jean et d’Eugénie les ateliers ont été confiés à un employé, prenant de l’âge, et souhaitant se retirer.
Renaud est alors âgé de 35 ans, il assure cette charge depuis 10 ans. Nous sommes en 1433, dix ans pendant lesquels il a fondé à son tour une famille, en épousant Francine Baudes de St.Marcellin à l’âge de 28 ans en 1426. Francine est de la même année que Renaud, ils ont dépassé tous les deux la moyenne d’âge du mariage. La raison en est simple, l’un comme l’autre, n’a eu jusque là rien à redouter d’un célibat, puisque vivant sous les ailes des parents.
Pour le moment Renaud en est là. Avec en plus un enfant né le 19 avril 1427 se prénommant Maxime Xavier. Renaud reçoit de sa grand-mère Eugénie le côté créatif et artistique, lui permettant avec ses collaborateurs, de trouver le petit quelque chose qui fait du nouveau. Tout l’ensemble, avec les difficultés créées par la rigueur des temps, tourne quand même assez rond. Les situations du départ sont également là, il n’y a pas péril en la demeure.
De 1433 à 1441, pendant huit ans, les machines vont ronronner. Rien n’est différent si ce n’est l’âge touchant tout le monde, aussi bien à Grenoble, qu’à Romans, qu’à Varacieux ou Murinais.
Printemps 1441. Le Dauphin s’installe dans son château de Beauvoir. Les parlements et autres organisations des marchands de toutes les branches, lui souhaitent la bienvenue. Pour cela la grande bourgade de St.Marcellin, organise une réception en son honneur. Ce sont les notables, les échevins, les représentants des marchands des villages importants, de la périphérie Saitnt-Marcellinnoise, et puis bien sûr, l’Evêque de Grenoble, les Antonins descendus de St Antoine, avec les prêtres de la région.
Nous savons notre Dauphin très superstitieux. Les prêtres vont en « profiter » pour le mettre sous la protection de saint Marcellin, rendant par ses grâces, la santé à ceux qui y sont voué. Notre Dauphin accepte cette protection comme beaucoup d’autres.
Pour le prier il va souvent venir à St.Marcellin, car très craintif d’un retour de la maladie de son grand-père.
Lors de cette réception les notables ont prévu des visites des principaux ateliers : tanneries, chamoiseries, laiteries fromageries, pressoirs à huile de noix, minoteries, installés sur la paroisse et celle de St.Sauveur, le long de la rivière la Cumane, utilisant sa force motrice tout au long de son cour.
Dans ce but il se rend en visite chez Jean des Troya et Gilot, chamoiseurs réputés de loin, bien au delà de la région.
Nanti d’un goût prononcé pour le cuir et la peau, il va passer un très grand moment à cette visite commentée par Renaud, pendant que Francine montre sur la « banque », les modèles de toutes sortes : gants, bottes, poulaines, chapeaux, créations de Renaud son aïeul pour son mariage, tuniques ou « bliauds », revus et corrigés par l’atelier modéliste, subissant de plein fouet, la concurrence Italienne, obligeant Renaud à faire toujours mieux.
Le Dauphin s’est renseigné, de savoir comment cette concurrence arrive jusqu’ici, lui promet de regarder le problème de près. Il demande aussi à Renaud de le suivre pour parler plus généralement des conditions de productions et de ventes en finissant la visite avec lui. Insigne honneur qui lui est fait.
Le Dauphin quoique plus jeune, voit en Renaud par ce qu’il sait ou fait, quelqu’un « d’intéressant ». Il lui fixe donc rendez-vous à Beauvoir pour la semaine suivante, invitant Francine à se joindre à son invitation, et d’apporter au château des modèles pour lesquels il se sent très intéressé.
Les visites continuent. Le Dauphin très curieux des nouvelles pratiques, s’y intéresse vraiment, jusqu’à St.Vérand où ils se rendent en calèches, pour visiter la chamoiserie.
On sait qu’il fera usage, lors de son règne, de ce qu’il a vu et admiré, en aidant les grands artisans, évoluant en industriels du futur.
Très satisfait de cette journée, le Dauphin, pourtant très versatile est heureux des méthodes et des connaissances, qui lui ont été présentées.
Il reste cependant très proche de Renaud et semble « accroché » par cet homme pourtant largement son aîné, puisque Renaud à 43 ans, alors que le Dauphin n’en a que 18 ; mais la valeur n’attend pas le nombre des années, c’est bien connu !
Le soir venu, le Dauphin rentre en son château, sans oublier de réitérer son invitation pour jeudi prochain après midi, vers deux heures et une demie.
Renaud met à profit ces quelques jours, afin de faire venir des ateliers de Grenoble et de Romans les plus belles pièces fabriquées dans leur spécialité. Toute la famille est un peu sans dessus dessous, par cette invitation, qui jusque là, n’était même pas pensée.
C’est cela le destin dont je parle plus haut. Francine choisit les plus belles peaux, dans les plus belles couleurs obtenues à St.Vérand.
Des gris bleu, des beiges, des châtaignes, des chamois, des bleus foncés, des noirs.
Avec chaque vêtement, elle assemble ce qui va, les gants, les chausses, les poulaines, les couvre-chefs, les tuniques, les houppelandes.
Chaque groupe de vêtement est emballé séparément, avec soins, dans des casiers plats, recouverts par une cotonnade blanche.
Jeudi est enfin là, il fait beau, c’est bien et mieux, tous sont un peu fébriles.
Tous les Troya sont venus à St.Marcellin, pour être présents au retour. Même les habitants et commerçants de la paroisse en parlent. C’est vraiment l’événement de la semaine.
Le matin, les employés, sous la surveillance de Francine, chargent un chariot fourgon, servant au transport des cuirs, depuis St.Vérand, aux ateliers de Grenoble ou de Romans.
Le chariot est loin d’être bourré, mais au moins tout le monde est sûr que rien ne prendra de mauvais plis.
Le couple Jean des Troya, prendra le coupé à capote et ouvrira le chemin. Inutile de dire que l’une comme l’autre, ont revêtus leurs beaux atours, souvent cousus ici aux ateliers, sans pour cela utiliser seulement des peaux.
Le château Delphinal de Beauvoir n’est pas loin. Moins de deux lieues, soit, en équipage moins d’une heure, traversée de l’Isère comprise.
L’endroit du bac, a été choisi pour plusieurs raisons. La première, l’Isère est ici la moins large, sans bancs de graviers en son milieu, sa pente est peu rapide ; seulement un quart de pouce par coudée. Deuxièmement, le peu de courant permet de pouvoir faire déplacer le bac en va et vient d’une rive à l’autre, par le changement de la position du grand gouvernail. Troisièmement, les berges inclinées, ont permis le tracé d’un chemin en biais dans cette pente, sans forte déclivité.
Quand les deux attelages arrivent à l’embarcadère, le passeur est du bon côté. Le bac suffisamment long permet le passage en une fois des deux véhicules peu chargés. Renaud règle le passage pendant que le cocher accoste le coupé et le chariot. Renaud reprend le coupé, le convoi monte le chemin de St.Pierre de Cherennes, jusqu’à l’embranchement du chemin menant au château.
Nous savons que ce château est bâti sur une ancienne forteresse.
Les premiers travaux de transformation ont été faits par Jean II le Bon, repris par Charles VI. L’actuel Dauphin, futur Louis XI, l’aménage à sa façon.
Dès arrivé au pied du promontoire rocheux, sur lequel est bâti le château, les premières dispositions que l’on voit, sont les trois grosses tours, dont deux rondes et une carré. Elles sont encore en travaux, pour deux d’entre elles, une des rondes et la carré. Les maçons terminent les mâchicoulis et les créneaux, surmontés, pour les terminer, d’une toiture en cône pour la ronde et à quatre pans pour la carré.
Chaque tour repose sur un à pic de la paroi rocheuse d’une vingtaine de coudées, formant un triangle naturel. À chaque pointe du triangle, une tour. Reliées entre elles par un mur très haut et crénelé, bardé de mâchicoulis et de meurtrières, débordant de la muraille, elles offrent des points défensif de premier plan. Tout cela pour la défense, soit du château, soit des maisons du bourg entourées par les fortifications dont la longueur est entrecoupée par des bretèches et des merlons carrés.
À l’intérieur du triangle la basse cour, reliée à la haute cour, formant le parvis d’une très grande chapelle. Derrière : le logis des gardes ou salle des preux.
Au milieu s’élève un donjon prenant pied sur la haute cour, vestige de la forteresse.
Le donjon est organisé en appartements sur plusieurs étages. Au dessus du donjon, dont le hourd est couvert d’une toiture, s’élèvent quatre pinacles. Sur le milieu un mat assez haut, au bout duquel flotte au vent, une oriflamme aux armes du Dauphiné, représentant un dauphin sur fond de fleurs de lys.
La grande porte lourde et fortifiée, faisant face au chemin, est protégée par un pont-levis enjambant la dépression naturelle du terrain, ajoutant ainsi une difficulté supplémentaire en cas de charges. Aujourd’hui le pont-levis est baissé, la porte ouverte d’un battant.
Renaud s’approche lentement, un peu dans ses « petits souliers », pensant à ce qu’aurait pu faire son trisaïeul qui déjà se prénommait Renaud.
Un garde le stoppe, le sortant de sa rêverie, lui demandant qui il est ?
Renaud s’annonce :
· Renaud des Troya et madame, nous sommes attendus par le Dauphin dans une vingtaine de minutes.
Le chef du poste de garde s’avance :
· Oui … dit-il à son homme … Je suis au courant … Laissez passer !
Il lève le bras et fait signe d’ouvrir le deuxième battant. La lourde porte pivote sur ses gonds, se colle sur l’épaisseur du mur d’enceinte et du corps de garde.
· Allez-y ! … En avant, rendez-vous au pied de l’escalier où sont deux hommes en poste.
Les deux attelages entrent. Les roues tambourinent les plateaux de bois du pont-levis, crissent sur les pavages de la cour basse. Renaud s’arrête là où on le lui a montré. Un des gardes en poste les prie de le suivre par l’escalier rejoignant la cour haute et les mène vers une porte plus grande et plus travaillée, comme le sont les portes d’entrées.
La porte s’ouvre, en sort un majordome, vêtu de la livrée fleurdelisée à l’écusson du Dauphin.
· Veuillez me suivre, messire et dame. … Robert … Appelez Sébastien et portez les bagages dans la grande salle d’apparats ; hélant Robert d’où il se trouve.
Renaud et Francine suivent le majordome. Traversent un grand corridor pénétrant dans la profondeur du château. Au bout, une porte en plein cintre, faite en noyer, ferme l’entrée d’un arc en pierres de taille de ses deux battants. À gauche un escalier monumental en pierre, coupe la hauteur de l’étage par une volée de marches, donnant sur un palier rectangulaire. Une main courante en marbre gris est soutenue par des colonnettes de même pierre, décalées sur chaque marche, en se rejoignant sous la main courante par une petite arche sculptée et un petit chapiteau.
Le majordome ouvre la porte et s’efface pour laisser entrer les deux visiteurs, passe et ferme la porte derrière lui.
· Si vous voulez bien vous asseoir ici, je vais aviser mon maître le Dauphin, que vous êtes arrivés.
Renaud et Francine suivent le conseil du majordome, regardant où ils sont installés. Une salle carrée dont les voûtes de pierres se rejoignent en berceau sur une clé centrale sculptée aux armes du Dauphin, reliant entre elles les quatre ogives reposant sur des piliers d’angles, sur deux faces. Les deux autres reposant sur un arc doubleau, fermé par une grande tenture de reps rouge fleurdelisé. Au tiers de la hauteur au dessous de l’écusson, la tenture s’ouvre sur un passage libre, fermé de deux rideaux, soutenus par une barre de fer forgé et des anneaux. Contre les murs, des tapisseries et des râteliers d’armes, encadrés par des fléaux de guerre.
Au bout d’un moment, des bruits se font entendre depuis les deux rideaux établissant une porte déguisée. Deux valets tirent du bras les tentures, pour ouvrir le passage au Dauphin, suivi de son Chambellan et de deux assesseurs ayant sous le bras un écritoire.
Dès entrés dans la pièce, les deux assesseurs s’arrêtent, se posent de part et d’autre de l’entrée.
· Dame des Troya … Je suis satisfait de vous revoir en ce château et vous prie d’accepter mes devoirs.
Il courbe la tête devant Francine un peu rougissante et gênée de tant de considérations.
· Je vous remercie Sire, votre seigneurie est trop aimable.
Il tend la main à Renaud en lui disant :
· Je suis curieux de vous voir en en ce château, nous avons bien des choses à discuter. … Venez avec moi … Allons à la grande salle d’apparats où l’on a déposé vos créations … Veuillez me suivre.
Le Chambellan s’incline au passage des trois personnes, auxquelles il emboîte le pas, suivi par les deux assesseurs.
Le « cortège » débouche dans une salle bien plus grande de celle d’où ils sortent. Faite de la même façon, mais plus large. La voûte de la première pièce carrée, est continuée dans la même largeur, sauf que les piliers d’angles sont remplacés par des colonnes de marbre gris veiné, d’une importante dimension. Les colonnes recevant sur un chapiteau sculpté en feuilles d’acanthe, les ogives de la travée du prolongement, mais aussi celles des côtés, élargissant l’ensemble d’une travée moins large et moins haute. Ceci pour l’ensemble sur trois berceaux accompagnant ceux du centre.
La pièce très décorée de draperies et d’oriflammes de tous les Seigneurs du Dauphiné ayant fait allégeance au Dauphin.
Ces bannières tenues au mur par le haut, pendent presque jusqu’au sol à plat contre les pierres, laissant apparaître les écussons de chaque terre et château de la noblesse de cette région.
À gauche de celui du Dauphin, celui des Clermont-Tonnerre, à droite celui des Terrail, puis des Lesdiguières de Bonne, de l’autre côté les Ponson du Terrail et comme cela quasiment tout le tour. La grande noblesse en Dauphiné est très nombreuse.
Au milieu, une immense table faite de trois éléments, entourée de chaises à hauts dossiers pleins, tapissés de damassé brillant, laissant apparaître en mat, par le jeu des armures du tissu, un dauphin encadré de quatre fleurs de lys.
Sous les oriflammes, faisant le tour : des coffres, des bancs en chêne ou en noyer, des armoires basses et hautes alternées.
Sur une des tables, sont déposés les emballages des ensembles assortis par Francine. Des laquais attendent face à eux de l’autre côté de la table, l’ordre d’ouvrir les paquets.
· Voici vos merveilles des Troya, par laquelle voulez-vous que l’on commence ?
· Si votre seigneurie le veut bien, je préfère demander à Francine de le faire, car c’est elle qui s’est occupée des casiers.
· Comme vous le voudrez, mon cher.
Ce jeune homme, de seulement 18 ans, laisse apparaître une maturité hors du commun. Rien d’étonnant qu’il est osé tenir tête à son père, dans ce qui fut presque une guerre.
Francine s’approche d’un cadre en bois, emballé par un tissu de coton uni, tenu en place par un lacet en cordon.
Son désir est devancé par le laquais se trouvant en face. De ses mains gantées de blanc il délie le cadre et ouvre la cotonnade.
Francine sort une superbe tunique de peau fine, doublée de soie, dans un ton de gris bleu, la met à plat sur la table. Sort ensuite, des chausses collantes assorties de même facture, qu’elle dépose à côté. Puis des chaussures à la poulaine, plus foncées, tenues sous la cheville par un lacet de cuir bouclé.
À chaque ensemble le Dauphin s’extasie, sur le choix fait avec finesse par Francine et ses collaborateurs.
Tous les cadres sont déballés maintenant, et recouvrent deux tables sur trois. Les sièges à dossier haut, ont été retirés à mesure du déballage par les laquais, laissant le bord de table en accès direct.
Le Dauphin va de l’un à l’autre des ensembles, comme pour faire des comparaisons, touchant des doigts la souplesse des peaux ou la qualité des tissus assemblés avec les peaux. On le voit hésiter sur plusieurs, dans un silence fait de curiosité.
Silence qu’il rompt en disant :
· Ecoutez mes amis, (ces trois mots font tressaillir les des Troya), je vais vous demander une faveur.
· Laquelle sire ! … De toute façon elle vous est accordée, répond Renaud.
· Je voudrais que vous me laissiez toutes ces pièces … Sont-elles à mes mesures ?
· Bien sûr sire … nous nous en sommes informés. Pour ce qui est de vous les laisser, il n’y a aucun problème.
· Alors dans ce cas je garde et je ferai un choix à l’essayage.
· Comme vous voudrez votre seigneurie.
Il se retourne et s’adresse à son Chambellan, toujours impassible, ne disant mot.
· Faites monter à mes appartements l’ensemble de ces vêtements … Surtout prenez en grands soins.
· Tout de suite votre seigneurie.
Le Chambellan fait signe aux laquais de les ranger dans les casiers.
· Venez avec moi, si vous le voulez bien. Maintenant nous allons un peu parler ensemble.
Le couple Renaud des Troya avance vers le Dauphin se mettant sur leur gauche, marchant lentement dans le reste de la salle d’apparats.
· Comment en êtes vous arrivés là, leur demanda-t-il ?
Renaud fait en marchant l’historique condensé de sa famille depuis les croisades.
Le Dauphin écoute avec intérêt et semble surpris d’une telle simplicité de ces gens, aptes à narrer des siècles d’histoire où leur propre famille y a été mêlée.
· Je m’aperçois que nous méconnaissons une partie de nos gens. Si un jour j’ai l’occasion de détenir le pouvoir, j’essaierais d’aider cette frange de notre société, qui, il me semble, ne peut qu’augmenter …
Un silence suit.
· Habitez-vous à St.Marcellin ?
· Non votre seigneurie … Nous habitons à la paroisse de Chatte, où nous avons acheté une grande maison, après avoir vendu notre manoir de Quinsivet. Enfin ce n’est pas moi le vendeur ou l’acheteur des maisons, mais mon grand-père, pour monter les ateliers que nous avons à Grenoble et à Romans, après ceux de St.Vérand et de St.Marcellin.
· Parce qu’en plus vous êtes installés là bas ?
· Oui votre seigneurie … ce sont mon père et mes frères tous issus des Troya du foity haut.
· Je vois que je peux seulement vous complimenter … Mais j’aimerai vous rendre visite chez vous.
· Evidemment votre seigneurie … Vous nous feriez un immense honneur.
En marchant et s’arrêtant pour parler, ils ont rejoint un salon plus petit, assez douillet où il les fait prendre place, vers une table basse, entourée de ployants et d’escabelles.
Coupant le cintre, une chaire néogothique à dossier haut, sculpté de rosaces est installée là comme en attente de quelqu’un, qui pour ce jour, est aisé à deviner.
Il s’assied sur le siège, priant ses deux invités de prendre un des ployants, en même temps qu’il pose sur les deux accoudoirs de son siège, ses deux avant bras. Cette position l’affirme, s’il le fallait, dans le rôle qu’il occupe en Dauphiné.
· Veuillez apporter les boissons, dit-il en frappant ses deux mains.
Un serviteur pose sur la table un plateau avec des gobelets en vermeil. Un autre montre une sorte de corbeille en osier, avec des casiers, dans lesquels reposent des bouteilles de vin.
· Voulez-vous goûter au vin du sud de ma province?
· Oui … pourquoi pas votre seigneurie, avec grand plaisir.
· Vous aussi dame Francine ?
· Aussi … s’il vous le plaît.
Le serviteur tire une bouteille à col court, dont le verre porte en relief des armoiries. Sur le haut, trois châteaux.
· C’est un vin des Côtes du Rhône de Saint-Paul-Trois-Châteaux. … Mais si vous préférez un vin blanc de Condrieu … Nous avons le choix.
· Celui que vous préférez votre seigneurie.
· Dans ce cas … Pour accompagner le saucisson cru du Royans, rassis à l’huile de noix, nous prendrons le rouge.
Le serviteur revient depuis le dressoir sur le côté de la pièce, pose un plat d’argent sur lequel des tranches de saucisson rassises à l’huile de noix, sont dressées. Il sert le vin dans les gobelets en vermeil, faisant servir le Dauphin d’une tranche, qu’il prend du bout des doigts.
Les invités en font autant et dégustent ce saucisson, que l’huile a parfumé de saveurs riches et particulières.
· Vous aimez ?
· Oh oui sire c’est très bon.
Tous les Troya connaissent ça depuis leur jeunesse, pensa Renaud.
Les discussions se poursuivent pendant tout le temps de ce petit encas. Une olive noire de Nyons pour finir le vin, termine cette collation.
L’après midi bien avancé, les Renaud des Troya prennent congé du Dauphin, leur disant :
· D’ici un jour ou deux, je vous ferai retour des vêtements, moins ceux que je garderai.
· Nous sommes vos dévoués, votre seigneurie, qu’il en plaise à vous.
Le retour à St.Marcellin où notre couple est plus qu’attendu, se passe en silence. Ils débarquent sous un flot de questions. Chacune ayant eut sa réponse, la famille et les employés sont satisfaits.
Avoir le Dauphin comme référence, ce n’est pas rien et personne ne reste indifférent.
Deux jours se sont écoulés.
Comme promis par le Dauphin, un équipage se présente aux ateliers. Il rapporte ce que le Dauphin n’a pas gardé. En fin de compte très peu de chose, sans doute pas à son goût, car le plus coloré et contrasté, reste. Par contre tous les chapeaux ont été gardés, il a vu le côté pratique de cette coiffure. Le bandeau de la calotte, dira-t-il, lui permettra de fixer ses médailles religieuses et breloques de protection, auxquelles il attache une importance capitale.
Les laquais rentrent sur les banques les casiers pleins et vides. N’ont-ils pas fini, qu’arrive en calèche le grand Chambellan, porteur d’un message et d’une bourse en peau, bien ronde et bien pesante.
· Mon maître le Dauphin me demande de vous remettre ce message et cette bourse en paiement des vêtements qu’il a gardé.
Il pose dans la main de Renaud la grosse bourse.
· Remerciez le Dauphin de sa grande magnanimité et de sa largesse envers nous et remettez-lui ce billet.
Renaud a pris le temps de lire le pli : Il lui dit sa satisfaction et lui renouvelle son désir de ne pas en rester là, mais qu’au contraire il veut suivre ses créations. De même il émet le désir de venir lui rendre visite chez son oncle aux « Quatre chemins », pour finir de connaître la famille.
Les désirs d’un presque roi étant des ordres il fallut obtempérer.
Renaud lui laisse le choix de la date, seul à lui, de dire le jour choisi entre ceux des semaines à venir.
Une certaine sympathie s’installe, entre ce jeune homme de 18 ans, fils de roi, devant porter la couronne de France et Renaud, pouvant être son père à 43 ans.
Son fils Maximes, sous quelques années, conviendra mieux pour avoir les mêmes goûts. Mais le hasard en a décidé autrement, pour le moment.
Les visites et les échanges sont de plus en plus nombreux trouvant à son goût la maison des Quatre chemins et celle de Chatte. Ces visites incognitos rayonnent sur la famille toute entière, avec en plus l’érudition des Troya attirant souvent le futur roi, pour des discutions de toutes natures, souvent un peu animées, avec la retenue dont l’hôte doit tenir cas.
Il n’empêche que cette sympathie, va avec le temps se conforter, devenant pour le Dauphin ne s’en rendant peut être pas compte, le départ de cette formation humaniste, devise si l’on peut dire des Troya partout où ils sont et ça depuis toujours.
Pendant les vingt années allant aboutir à l’année 1461, où le Dauphin sera couronné roi de France, sous le nom de Louis XI, bien des choses ont changées.
Le fils de Renaud, Maximes, a terminé ses études dans le sens de celles de ses parents, l’école de commerce. Il a eu le temps de connaître plus parfaitement ce Dauphin souvent mystérieux, voire énigmatique.
Maximes, décidé de continuer le tracé de son père et de sa mère dans la chamoiserie, a ajouté à l’atelier un secteur : le porte document, la sacoche de voyage, les bourses et étuis de cuir. L’atelier est à St.Marcellin.
Le Dauphin continue d’utiliser les ateliers, pour faire faire les vêtements qu’il souhaite porter, c’est à dire : simples et pratiques, à contre courant de ses voisins Bourguignons, dont la cour qu’a constitué Philippe le Bon, est un peu trop clinquante à son goût. Ils devront sous peu se mettre au pas.
Durant ces mêmes vingt ans, Maximes a un frère Louis et une sœur Berthe. Le prénom Louis est choisi en remerciements des jours où le Dauphin va venir faire ses premières armes du développement du commerce en Dauphiné, avec l’exemple que lui fournit la famille des Troya, aussi bien à Romans qu’à St.Vérand, qu’à Grenoble ou Varacieux et ailleurs.
Le futur roi se rend compte que le commerce est de plus en plus important pour la réussite d’un grand pays. Il va s’attacher à lancer les bases des grandes foires internationales à Lyon, s’inspirant des concepts qu’ont appliqué à leurs propres affaires, les Troya, les Guyonnet de Size et quelques autres.
Lyon, est pour le Dauphiné, la grande sœur. Elle aussi très structurée dans le tissage, notamment de la soie, est choisie par le Dauphin, pour concurrencer les foires de Genève. Il souhaite développer la soierie en Touraine. Lyon gardera sa domination sur le sujet.
Il s’est aussi rendu compte, qu’il est plus facile de tirer des revenus royaux, sur les villes que sur les grands Seigneurs ou les grands Princes.
Le Dauphin toujours installé à Beauvoir qu’il aime particulièrement, a pris de l’assurance et de l’expérience dans le gouvernement d’une province, pour le moment.
Les années qui vont s’écouler, autant pour les Dauphinois que pour le Dauphin, vont servir à acquérir ou à s’agrandir.
Charles VII décède dans des conditions dramatiques à 58 ans.
C’est l’avènement de Louis XI comme roi de France.
Il doit quitter son Dauphiné qu’il a aimé et transformé, il faut bien le reconnaître, en 20 ans de gouvernement, en une région forte et prospère, qu’il l’est encore certainement à ces suites.
Vingt ans ayant laissés des traces, des amis, des projets.
Au début de son règne, il doit faire le « ménage » des conseillés ne lui plaisant pas. Les remplacer par ceux plus réalistes de Charles VI. Rappelle autour de lui ses conseillés du Dauphiné pour quelques uns.
Il s’aperçoit enfin le manque de quelqu’un d’important pour lui, son « tailleur » en quelque sorte, car à Paris il ne trouve pas les vêtements qui lui conviennent, lui apportant cependant de nombreuses critiques.
Il décide donc d’appeler, avec charge royale : « de gantier et bottier du roi », son presque mentor, Renaud de Troya. À lui de choisir sa résidence et d’installer les ateliers nécessaires à Paris, pour pouvoir le satisfaire.
Renaud devient vieux, il a 64 ans, changer de vie et de ville, surtout Paris, ne le tente guère. Il demande au roi une faveur en souvenir de ses années dauphinoises, de bien vouloir le remplacer à cette charge pourtant gratifiante, par son fils Maximes âgé de 35 ans, marié avec Jeanne de Quinson, voisine depuis quelques années, du mas des Troya où il a fait sa connaissance.
Le roi encore Dauphin le jour de ce mariage, est venu à St.Marcellin sans équipages, pour assister à la messe. Il le connaît donc bien et a pu juger de ses qualités pour ce qu’il désir. En plus, il a pu rencontrer sa jeune femme, issue d’une très bonne famille du Dauphiné les Bernard de Quinson.
Le roi se fait tirer l’oreille comme monarque, n’aimant pas que l’on discute ses désirs, mais accepte le fils, connaissant effectivement ses possibilités, les ayant utilisées, en se sentant engagé à avoir à rendre quelque chose à son père.
Il a compris également qu’il ne peut pas décapiter la famille et l’entreprise. Un exemple de son humanisme.
Voici donc notre jeune famille partie pour Paris, où elle va s’installer.
Le dévolu est porté sur une ancienne échoppe, récemment refaite, dans le quartier du Louvres, lui aussi remis au goût du jour par Charles V, où Louis XI, comme ces prédécesseurs, avaient dû en faire leur domicile royal.
Maximes et Jeanne ouvrent une très grande échoppe, attirant toute la noblesse de l’entourage du roi, leur assurant un avenir sans soucis, confortant une fortune déjà bonne.
Pendant ce temps, que se passe-t-il au Gros châtaignier et à Quinsivet ?