La saga des troya - Saison 5 - Chapitre 21
Mon père décidait de me munir d’un petit panier en osier, dans lequel pour le premier essai, nous devions nous suffire d’un gros morceau de pain, d’un bout de lard et de quelques figues sèches. Pour la boisson une petite bouteille d’eau. La bouteille avait de l’importance aux yeux de mon père, car elle définissait l’inexistence d’un point d’eau à l’endroit où je me rendais, qui aurait pu soulever une possibilité de vie, voire d’une occupation des lieux. Précautions peut-être inutiles, mais en temps de guerre rien n’est inutile, nous verrons pourquoi.
La supercherie était celle de donner comme raisons à ce déplacement, le travail « forcé » d’un enfant, devant se rendre aux champs pour travailler. En l’occurrence biner des plants repiqués. Mon père pour finir la composition, me donnait une serfouette à panne et pointes, généralement utilisée pour ce genre de travail.
Les adultes ne devaient pas quitter leur habitation, tout manquement étant puni de mort.
L’outil sur l’épaule, l’anse du panier enfilée sur le manche, le panier pendant contre mes omoplates, je sortais sur la place muni de mon équipement.
La place était occupée par toutes les voitures existantes dans le bourg, en vue de leur destruction. La destruction était aussi simple qu’efficace, deux soldats munis d’une grosse masse enfonçaient dans le moteur le delco et cassaient la culasse.
Inutile de dire, que les dégâts étaient irrémédiables et définitifs, la voiture était inutilisable sauf de pouvoir changer le moteur, ce qui dans cette période était carrément impossible. Le but de l’opération était de supprimer les véhicules pouvant servir au maquis, qui puisait leurs besoins sur ce parc abandonné dans les garages depuis quatre ans, faute de carburant.
Je devais traverser cette première place où de nombreux officiers allemands cherchaient leur bonheur parmi les très belles voitures de luxes apportées par certains propriétaires, qui préféraient perdre la voiture plutôt que la vie, car c’était le sort réservé à ceux qui n’obtempéreront pas, ils seraient fusillés sur place à côté de leur voiture, car chaque maison allait être fouillée de la cave au grenier, ainsi que toutes les dépendances.
Le premier slalom que je réalisais, entre les voitures enchevêtrées, sous les yeux des voisins n’y comprenant rien, me voyant au milieu de ce cahot, en plus, un panier sur l’épaule, se demandaient bien ce que je pouvais faire là.
Je mettais du temps à me faufiler entre les voitures, ne cherchant pas à faire vite, au contraire, essayant par ce comportement à passer inaperçu, comme un enfant ne jugeant pas du tout la situation.
Cette relative lenteur me permettait de remarquer ce qui se passait.
Je me pose souvent la question de savoir pourquoi, les officiers ou les soldats ne m’ont jamais rien dit d’autre, avec l’accent allemand, que : « rentre chez toi tu n’as rien à faire ici ».
Sans doute mon âge ou celui que je paraissais.
J’arrivais à l’angle du champ de mars, non visible depuis le magasin. Là je découvrais ce que je décris plus haut, les camions et les allemands.
La trouille me tenaillait on l’aurait à moins. Gardant quand même mon sang froid, ne voulant pas rester sans nouvelle de ce frère m’ayant tenu la main si souvent, je me ressaisissais et longeais sur le bord de la route le cantonnement allemand, pour aller à l’autre angle du champ de mars.
Pour ce faire, il fallait absolument longer toute la profondeur de ce champ de mars d’une bonne centaine de mètres.
Ces cent mètres devenaient certainement les plus longs cent mètres que j’allais pouvoir faire au cours de ma vie.
Ce n’était pas encore la fin de mes surprises. Au bout du champ de mars je devais tourner à gauche, puis un tout petit peu plus loin à droite pour prendre le chemin qui conduisait au jardin, en direction des propriétés Germain et Roux.
Oui, mais voilà … les chars de la « panzer division » étaient là, les uns derrière les autres, bouchant ou presque le chemin, ce que je ne pouvais voir de la rue du Champ de Mars. Ma surprise fut si grande que je marquais un temps d’arrêt, et j’hésitais à m’enfiler entre les chars de la rue et du chemin longeant le mur de clôture d’un voisin horticulteur, qui faisait l’angle.
Un soldat travaillant à la révision et mise en ordre de son char, remarqua cette hésitation. Dans un français presque parfait il me demandait ce que je voulais faire. La peur me serrant la gorge, je répondais avec des mots presque inaudibles, que je voulais passer pour aller plus loin au travail. Le bord du mur du voisin était garni d’orties de quatre-vingt centimètres de haut, sur la largeur du petit accot. J’étais en culotte courte comme à l’époque il était courant de l’être. Le soldat pensa que c’était les orties pouvant me piquer les jambes qui me faisaient peur.
Du haut de la tourelle il me disait qu’il avait un fils de mon âge et sautait du char. Il me prit par le bras libre, me faisant passer entre le devant de son char et le suivant, puis, se mettant du côté des orties, les couchait contre le mur avec ses bottes de cuir faisant partie de l’uniforme Allemand.
Au bout du deuxième tank sur ce bout du chemin, il me demandait ce que j’allais faire. Je récitais, plutôt que je ne disais, ce que mon père m’avait dit de dire si cette situation se produisait, mais le soldat ne remarqua rien.
Il continuait ses questions alors que je ne demandais qu’à déguerpir.
Mais rien à faire il me tenait toujours le bras, pour finir par me demander ce que j’avais dans mon petit panier.
· Mon repas pour ce midi, … dis-je, la voix toujours tremblante.
Le soldat soulevait le linge qui couvrait le contenu du panier et voyait qu’effectivement il s’agissait de mon repas.
· Tes parents te mènent à la dur me dit-il, attends-moi je reviens.
Le soldat remontait les deux chars du chemin en direction de celui qu’il occupait sur la rue.
Pendant qu’il disparaissait dans le tank, je prenais mes jambes à mon cou et je courais comme un dératé jusqu’au bout du mur près du séchoir à noix, derrière l’angle duquel je me cachais et regardais d’un œil ce qui allait se passer.
Quand le soldat ressortait du char il tenait à la main quelque chose que je ne pouvais pas reconnaître, un peu loin pour pouvoir le faire. Le soldat levait les bras, très surpris de ne plus me voir, et marmonnait deux ou trois mots d’allemand à ses copains.
Pour l’instant l’incident était clos. Je regardais encore et attendais un petit moment la peur au ventre, avant de repartir. Je n’étais pas très loin de mon but que ma fuite m’avait fait dépasser. Je pensais qu’il ne fallait pas que le soldat me voit bifurquer ou revenir du côté des champs sur la droite, lui donnant peut-être l’envie de venir me voir sur place, au travail, pour me donner ce que j’avais vu qu’il tenait, mettant ainsi l’équipe des cachés en réel danger, découvrant peut-être l’ensemble, de ce que cachait cet endroit.
Sûr de mon coup je traversais le chemin en courant et prenais le bord du champ, passant sous des noyers, des arbres fruitiers et une haie vive, pour entrer au jardin.
Aucun bruit, ni mouvement ne pouvait trahir l’habitation du hangar ou du cabanon par quelqu’un.
La porte roulante était fermée avec un cadenas, dont la chaîne passant autour d’un poteau, pouvait être remise par un trou de l’intérieur vers l’extérieur et vice-versa. Le cadenas avait été remis prudemment dehors. Je tapais le code préétabli depuis longtemps, trois coups rapides et deux lents.
J’entendis quelqu’un venir ouvrir. C’était René mon frère, très surpris de voir son petit frère ici, avec un panier et un piochon.
Levant le linge il comprit tout de suite le pourquoi et appelait son oncle Jean et son copain Louis.
Je découvrais en même temps, un homme de plus à nourrir. Dans un grand silence les trois planqués se partageaient le repas et buvaient en partie la bouteille d’eau. Sous ce toit en plein été il ne faisait pas froid et la soif était bien naturelle.
L’eau ne leur manquait cependant pas. La nuit ils pouvaient se rendre au robinet et boire sans se trahir en faisant une réserve dans un arrosoir. Mais la nourriture c’était autre chose. Ils ne pouvaient pas ramasser quoique se soit, le risque était trop grand. Le potager étant bien visible de la rue rejoignant la nationale, surtout en face du maçon Iserable, dont son fils Jean avait mon âge, et d’où j’avais pu voir cette possibilité de nombreuses fois en me rendant chez lui.
Ils n’avaient rien mangé depuis presque deux jours. Ce petit encas leur faisait le plus grand bien. Aussitôt terminé ils remontaient sur leur perchoir, tiraient l’échelle jusqu’à eux et s’allongeaient derrière un mur de paillassons qu’ils avaient arrangés pour passer inaperçus depuis le bas. L’idée de voir ce qui pourrait se passer ici était toujours possible à quelqu’un, et ces paillassons allaient servir à bien d’autres choses.
Heureusement le hangar n’était pas visible du chemin perpendiculaire, caché par des vieux noyers non entretenus, et des buissons de sureaux, de ronces et de thuyas, remontant jusqu’à la rue, plus un énorme tilleul à branches pleureuses près d’un petit lavoir et d’un grand bassin vide à murs hauts, servant autrefois de réserve d’eau, maintenant utilisé comme dépotoir, dans lequel poussait aussi une végétation sauvage assez haute.
Pour donner le change je me mettais au travail sans trop en faire, car une idée me trottait dans la tête, il allait falloir rentrer et revenir demain avec plus de nourriture.
J’allais rester jusqu’à quatre heures après-midi.
À quatre heures j’appelais mon frère, après un gros bisou échangé, je quittais tout le monde, René refermait la lourde porte roulante, et passait le cadenas à l’extérieur.
Toujours muni de mon panier, vide maintenant, de la bouteille presque vidée et du piochon, je partais pour le retour. Non sans craintes car j’avais vu les risques.
Le long des chars il n’y avait plus personne, le soldat et ses camarades n’étaient pas là.
Je retournais l’angle du champ de mars et voyais une assez grande effervescence au milieu du camp provisoire. Un joueur d’accordéon jouait pour ses amis des chansons de leur pays et nombreux étaient ceux qui chantaient en allemand.
Le champ de mars était sur ce côté, bordé par des bancs de bois scellés comme ceux des squares. Beaucoup d’hommes étaient assis sur ces bancs ou les marchepieds de leurs véhicules, profitant du spectacle improvisé. Je pensais simplement que pendant qu’ils étaient occupés de cette façon, ils ne me demanderaient rien, c’était pour moi le principal.
J’ajoutais, après ces remarques, de tenter le contournement en passant par le chemin de la voûte traversant la ferme Roux que je connaissais bien, pour y avoir souvent joué avec mon copain Michel Roux.
Depuis le dessous de la voûte je reconnaissais le dos et les cheveux blonds, (le seul que je ne voulais pas apercevoir), du soldat qui m’avait fait le passage des orties.
Du coin de l’œil, par le reflex d’un homme de guerre, il s’aperçut de ma présence et se retournait. Surpris, mais souriant, il me demandait de venir. J’avais la deuxième grande peur de ma vie.
Il n’est pas content et va me créer des complications pensais-je. Et bien non ; il me disait :
· C’est bien dommage de ne pas avoir attendu le matin, mais qu’ici, il fallait attendre !
C’était péremptoire. Je n’insistais pas et ne bougeais pas. Le soldat s’éloignait du banc et se dirigeait vers un camion chargé de cartons et de boîtes de marchandises. Certainement un camion de l’intendance.
Il demandait en allemand quelque chose qu’il dissimulait dans sa poche et revenait.
· Tiens, me dit-il, voici pour ton dessert … en me tendant une tablette de chocolat. … Prends, …, cela me fera plaisir car tu me rappelles mon fils.
Je disais poliment merci et mettais la tablette dans le panier en déguerpissant le plus vite possible.
Ce soldat sans aucun doute se languissait de l’éloignement de sa famille, de plus en plus nombreux, à moins comprendre leur utilité dans ce conflit, comme ici pour cette guerre, que lui en tous cas semblait-il, n’avait pas souhaité.
Il n’empêche que les SS, avec leur appui militaire, allaient commettre sous quelques jours, les plus grandes atrocités que le genre humain fut capable de générer, brûlant les fermes et assassinant tous les habitants, hommes, femmes, et enfants de chaque village de tout le Vercors. Une femme enceinte était clouée à sa porte et brûlée au lance-flammes, pour le simple motif d’héberger les maquisards.
Il est impossible d’oublier, et encore moins de pardonner, à cette génération en tous cas.
Je n’étais toujours pas pour autant rendu à la maison, il me fallait encore traverser la route nationale face à l’ébénisterie Veyret, et traverser la longue place de l’église.
Dans un angle près de la gendarmerie je voyais une trentaine d’hommes, les poings liés, les yeux bandés, attendre d’être transportés pour être fusillés. Dans un autre coin de très jeunes adolescents que je reconnaissais pour être, en partie, les enfants des manouches du champ de mars, guère plus vieux que moi.
Très peu s’en sortiront. Ils laisseront leur vie au pied du château fort en ruine de Beauvoir, au pied du Vercors et du Royans.
Sur la place les deux soldats étaient toujours la masse en main, cassant et cassant encore, les moteurs des voitures.
Ils étaient vers les dernières, qui appartenaient aux voisins immédiats de notre magasin : Mon père, le cordonnier Périol, le tailleur Rebut, un réparateur et vendeur de vélos et motos, Nonote, avec une 201 conduite intérieur flambant neuve, mon père avait deux véhicules, une 201 commerciale, et un fourgon Ford acheté pour les pneumatiques, le Renault gazogène, loin vers la gare dans un garage de l’entrepôt du charbonnier Charlin, qui n’avait plus de charbon à vendre, allait y rester.
Le garagiste Berruyer, avait dû sortir les trois voitures de ses clients et la sienne une Citroën B14 presque neuve aussi. L’autre garagiste de la place, monsieur Bergerand en faisait autant.
Le chef de musique Fontmorin avait garé sa 202 toute neuve devant le magasin de mes parents, avec une voiture de Rochas le quincaillier, et la motocyclette de Genin le marbrier propriétaire des murs du garage Berruyer. Les garagistes avaient bien essayé de faire jouer leurs autorisations, mais rien à faire le SS ne voulait rien savoir, ces voitures comme les autres devaient être cassées.
Le hasard allait décider de faire les choses autrement.
Les deux soldats, commençaient vraisemblablement, à être fatigués de manier cette masse depuis le début de la matinée, tant et si bien, qu’elle lui fit rater son coup. Le manche de la masse se cassa presque au ras de la douille, ceci juste au moment où j’arrivais à leur hauteur. La masse allait se coincer entre le rebord du carter moteur et le châssis de la voiture, qui à cette époque était robuste.
Il appelait son camarade qui venait s’en rendre compte, essayait de décoincer la masse, impossible. Ils allaient passer un grand moment sous mon regard à batailler pour la déloger. Là un SS plus enragé que les autres, les appelait tous les deux pour partir avec les prisonniers aux yeux bandés, en direction de Beauvoir, côté rive gauche de l’Isère.
Les adultes allaient déduire un peu après, à la vue des camions qui se chargeaient de prisonniers et de soldats, installant une mitrailleuse sur le derrière du dernier camion, que rien de bon ne se préparait.
Pour éviter de ce faire engueuler, le soldat posait le bout du manche sur le moteur et refermait le capot, l’autre en faisait autant de sa masse, pendant que je m’éclipsais jusqu’à l’entrée du magasin dont les volets étaient tirés, moins un battant. Les quelques voitures qui restaient, étaient sauvées.
C’était à ce moment là que j’arrivais pour entrer à la maison, après avoir eu le temps de remarquer tout le déroulement de ces scènes, mais aussi aidé par cette infatigable curiosité de regarder faire, étant obligé de me faufiler entre l’ensemble très mal réparti, posé un peu dans tous les sens par les propriétaires n’ayant nulle envie de faire du zèle. En plus poussant eux-mêmes leurs voitures, aidés de quelques voisins âgés, sous les ordres de plusieurs soldats.
Ma mère et mon père qui commençaient à se faire du souci, me demandait des nouvelles.
· Pour le moment, l’intrigue tient, ils sont bien cachés.
Je sortais ma tablette de chocolat du panier, sous le regard médusé de tous, et je racontais mon histoire en détails.
C’est alors que, comme les SS l’avaient fait savoir, deux soldats, l’un de Prusse, l’autre Autrichien, ayant la cinquantaine largement passée, entraient pour fouiller la maison à la recherche d’indices pouvant faire penser à l’existence de « terroristes », ou de rapport avec les maquisards.
La maison ne manquait certainement pas d’indices, mais la conception même de cette maison allait permettre de passer au travers.
Les demi-étages qui s’imbriquaient les uns dans les autres, sur des demi-paliers, allaient permettre à mon père de leur faire perdre le « nord » et de n’y plus s’y retrouver, alors que mon père, que j’accompagnais, leur disait qu’ils avaient déjà visités ici, alors qu’il s’agissait de la chambre de mon frère, dont l’armoire contenait tous ses vêtements, qui auraient ouverts, sans aucun doute, bien des questions comme : Où est-il maintenant ?
Ils regagnaient le rez-de-chaussée et tombaient nez à nez avec une grande carte d’Europe punaisée au mur, où mon père et le Mile Joly, à l’aide d’épingles à tête de couleur, traçaient les fronts de la bataille de France et de Russie. Là ce fut plus difficile de leur faire croire que mon père suivait les déplacements des armées Allemandes et non l’avance des Alliés dont les renseignements étaient appris sur la radio Anglaise interdite : Les Français, parlent aux Français et la radio « neutre » de Genève, par l’intermédiaire de l’exposé de monsieur René Paillot, correspondant de presse à Genève, et dont nous recevions parfaitement l’émission.
La fatigue sans doute, mais aussi comme l’homme des chars, ils devenaient las de ces répressions qui n’en finissaient pas. Tant et si bien qu’ils laissaient tomber après que mon père leur ait demandé de montrer sur la carte, leur ville ou leur région d’origine.
Cette dérivation ramenait leur sourire et éludait une réponse bien embarrassante.
Pour finir de les calmer mon père s’offrait le luxe de leur proposer un verre de sirop de menthe fabriqué à la maison, ce qu’ils acceptaient avec plaisir. Ma présence tout au long de cette fouille, n’était pas non plus une mauvaise tactique de mon père, pour amadouer les deux soldats, et là encore le souvenir et l’amour fraternel jouaient en totalité.
La nuit approchait, le calme revenait un peu. Le soir, la moitié des unités étaient en route pour l’assaut du Vercors, les chars trop lourds pour les bacs traversant l’Isère à la place des ponts détruits, prirent la direction du barrage-pont de Pizanson.
On connaît malheureusement la suite.
Le lendemain matin, les habitants osaient un peu sortir de chez eux. Certains venaient récupérer ce qu’il restait de leurs voitures. Les SS n’étaient plus là, le peu de soldats qui restait, semblait laisser faire, fallait-il encore rester prudent, des SS pouvaient surgir à tous les moments, et n’auraient laissé à personne une seule chance.
Je retournais au jardin me rendre compte de ce que mon frère était devenu. Quand je frappais à la grande porte roulante, mon cœur battait plus fort. La porte s’ouvrait il était bien là. Nous nous embrassions comme jamais nous ne l’avions fait.
Sur le chemin, restaient seulement les traces profondes des chenilles des deux chars tigres stationnés sur la partie la plus large de ce chemin en terre.
Qu’est devenu ce soldat ? … Mystère.
À la fin de la journée le champ de mars s’était pratiquement vidé, les rues et la place aussi.
L’ami de René, Louis, avait pu rentrer chez lui dès la nuit tombée.
Pour combien de temps ?
Le Vercors était ravagé ; les pires des exactions commises ; les Alliés, débarqués depuis le six juin tenaient bon, alors qu’en Italie la bataille de Cassino était déterminante. Le débarquement, d’Antibes à Cavalaire-sur-Mer, était une réussite. Les deux armées se réunissaient dans la vallée du Rhône et de la Durance, leur remonté difficile vers Le Muy, mais sans retenues significatives eurent lieux, les Américains et les Français des forces libres arrivaient.
C’était enfin la Libération tant attendue par tout le Dauphiné. Ce Dauphiné si cher à nos cœurs depuis la nuit des temps.
Sur la place de l’église et le champ de mars, les uniformes kaki avaient remplacé avantageusement les verts de gris.
Le tonton Jean pouvait retourner surprendre sa femme, qui pendant toutes ces années était restée seule sans bouger. Quelle abnégation.
Tonton qui avait pris goût à la culture des plants et des légumes ramenait femme et bagages, et s’installait au pays ; il n’allait plus le quitter, ensevelit qu’il est avec sa femme au cimetière de Tullins (Isère).
René décidait de s’engager à la division du général Leclerc. Il ira jusqu’en Allemagne puis jusqu’au Danube. Plus d’un an de jours terribles, sous le déluge des canons allemands ne voulant décidément pas se taire.
J’allais retrouver mon frère à l’occasion d’une permission, qui allait être sans aucun doute la pire des permissions que je pouvais connaître, et René allait subir avec moi, ou plutôt en ma compagnie, le plus injuste des traitements. Je sauvais sûrement sa vie par ma présence. Autant l’un que l’autre nous en restions bien marqués.
Et puis c’était le grand jour ; la fin de la guerre.
Je ne sais pas si cette période du pire que l’on puisse connaître, a eu le même effet sur tous ceux qui l’ont traversée, mais en ce qui me concerne, elle reste une pierre plantée aussi bien dans mon cœur, que sur le parcours de ma vie.
Pourtant il y avait eu un peu avant, bien des jours inoubliables, se passant avec les mêmes antagonistes pour la plupart.
Mais où sont les Détroyat de tous les alentours ?
Comme les autres ils sont victimes de la division.
Les familles sentent que la surface est de nouveau le seul moyen de tenir en restant au métier de la terre. Elles vont se déchirer pour des terres ou des biens qu’ils doivent ou ne doivent pas avoir. Tout est prétextes à litiges, procès et conflits, ne laissant pas de côté les « Quatre chemins ».
Un fils aîné de Jean Détroyat 2 va épouser une fille de la grande société Brésilienne se nommant de Montarroyos. L’on sait qu’aujourd’hui, cette famille est propriétaire d’une immense plantation sur les contreforts du mont Arroyos. Depuis peu il semble que le seul descendant reconnu sur place, se fiche de ses origines et ne fait rien.
Le dernier mariage dont j’ai trouvé l’existence, à eu lieu le 25 août 1930 à Säao Lourenôco do Sul/RS, qu’ils ont eu deux filles et un garçon : Maria Lâucia, Josâe Carlos, Maria Antâonia, qui à leur tour se sont mariés, et ont eu des enfants et certainement des petits enfants.
Ce Dauphiné ayant tant fait parler de lui, doit encore le faire de nombreuses années.
Nous venons de parcourir ensemble un bout de son ancien chemin.
Gilbert Détroyat. 2003 / 2007 / 2009/ 2010/2013. Remises à jour.
Tous droits réservés. Je remercie ici Yves Arrigoni, mes cousins et cousines de ce qu’ils ont pus m’apporter.